Alors que Pierre Moscovici et sa réforme bancaire tentent de préserver le monopole des banques universelles, le débat fait rage outre-manche pour couper les banques en deux. Affolés par la désintégration de l’économie et par la perspective d’un effondrement bancaire, de nombreux experts prennent parti pour une séparation stricte des banques de détail et des banques d’affaires. Dans sa chronique du 25 novembre, l’éditorialiste économique du Daily Telegraph Liam Halligan dénonce les fausses réformes bancaires et se prononce pour le Glass-Steagall Act.
Il n’y a qu’une seule riposte : couper les banques
Fin 2008, suite à la crise des subprimes, ceux d’entre nous qui appelaient à une nouvelle séparation « Glass-Steagall » entre banque de détail et banque d’affaires étaient qualifiés de « néandertaliens » et de « têtes-brûlées ».
Depuis quatre ans, les choses ont changé, mais probablement pas encore assez.
Le désir, pour ne pas dire la nécessité, d’imposer une réforme structurelle au secteur bancaire occidental relève de plus en plus de la sagesse populaire. Parallèlement, les « titans de la banque », soucieux de protéger le statu quo qui leur a été si profitable en même temps que désastreux pour les contribuables, se cramponnent avec leurs ongles luxueusement manucurés.
Cela ne devrait ni vous déprimer ni vous surprendre. C’est ainsi qu’opèrent les puissants intérêts privés. Ce qui devrait nous déprimer – et même nous énerver – est que les banques rapaces sont assistées dans leur défense de l’indéfendable par le Chancelier de l’échiquier [ministre des Finances britannique, ndt] et par le principal candidat au poste de gouverneur de la Banque d’Angleterre.
La séparation Glass-Steagall entre banques de détail (qui collectent les dépôts) et banques d’affaires (qui collectent les risques) fut supprimée au Royaume-Uni et aux Etats-Unis à la fin des années 1980 et 1990 [la France montra la voie en 1984, ndt]. Depuis lors, les marchés financiers sont allés de crise en crise. Aucune autre loi seule n’en a fait autant pour engendrer les « subprimes » et transformer cette crise bancaire en une vaste crise économique et fiscale.
La loi Glass-Steagall, datant de la Grande dépression, une fois supprimée aux Etats-Unis en 1999, les banquiers d’affaires de Wall Street ont pu utiliser les dépôts garantis par les contribuables pour prendre des paris ultra-risqués, sachant qu’ils seraient secourus si ces paris tournaient mal.
Ce faisant, ils suivaient et se mettaient en concurrence avec leurs homologues de la City, le Royaume-Uni ayant supprimé son « Glass-Steagall informel » – la séparation entre banques de détail et les vieilles banques marchandes – lors du Big Bang de 1986.
Rétablir la séparation empêcherait les banques d’affaires de jouer avec les dépôts garantis par l’Etat, les exposant ainsi pleinement à la force du marché. D’un coup, nos banques seraient plus sûres et la question du « too big to fail » essentiellement résolue.
Bien sûr, tout cela n’est qu’abomination pour les « cracks » de la banque qui se sont reposés sur les subsides de l’Etat pour survivre et de qui les politiques ont reçu en retour des contributions électorales et des emplois de complaisance pour leurs vieux jours. C’est pour cela que les « têtes-brûlées » du Glass-Steagall comme moi ont fait l’objet d’attaques ad hominem du lobby bancaire et de leurs pleutres amis.
Il n’en reste pas moins que le statu quo bancaire est sérieusement mis en cause. Le gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mervyn King, défend ouvertement une séparation Glass-Steagall. Il en va de même de Sandford Weill et John Reed, les deux banquiers américains qui poussèrent sans retenu l’administration Clinton à abroger la séparation à la fin des années 1990.
L’ancien ministre travailliste attaché aux services financiers, Lord Myners, défend une « séparation complète ». De même pour le professeur John Kay, un des rares économistes de classe mondiale que compte le Royaume-Uni. Terry Smith, un résident de la City connu pour dire sa vérité aux puissants, soutient Glass-Steagall. C’était aussi le cas de feu Sir Brian Pitman, probablement le banquier de détail le plus accompli et respecté de ces 30 dernières années. Il est significatif que Lord Lawson, qui avait supervisé la mise en place du Big Bang en tant que Chancelier à l’époque, soit un partisan enflammé du Glass-Steagall. Sir Peter Hambro, rejeton de la vieille banque marchande britannique, voit les choses de la même manière.
Les banques d’affaires devraient vivre par elles-mêmes, a déclaré Sir Peter [Hambro], sans l’influence corruptrice que constitue le filet de sécurité de l’Etat.
« C’est la responsabilité illimitée qui par le passé rendait les banques d’affaires plus réfléchies, car elle mettait en jeu leurs bijoux de famille, a-t-il dit. La plupart des problèmes financiers actuels sont dus au fait que les banquiers d’affaires, s’appuyant sur le bilan des banques de détail, n’ont pas à en subir les conséquences. Ils ne perdent rien, et cette culture a infecté la banque de détail. Ils n’auraient jamais dû être ensemble et ils devraient être totalement séparés. »
Les personnalités mentionnées ci-dessus ne sont ni des « néandertaliens » ni des « têtes-brûlées ». Leur expérience et leur expertise sont grandes, ils sont parmi les principaux praticiens de la finance mondiale. Leurs points de vue sont extrêmement convaincants à mes yeux, pas seulement à cause de leur renommée mais parce que c’est une question de bon sens. Toutefois, malgré la poussée en faveur du Glass-Steagall, il semble que le Royaume-Uni se précipite vers un nouvel effondrement bancaire dans les prochaines années.
La commission parlementaire sur les banques présidée par le député Andrew Tyrie a récemment entendu des témoins clés. Sir John Vickers a dit à la commission Tyrie qu’il soutenait les conclusions de la commission indépendante sur les banques qu’il a présidée, recommandant de cantonner [le « ring-fencing », ndt] les activités de détail et d’affaires au sein des mêmes établissements, et évitant un démantèlement structurel à nos monolithes bancaires.
La semaine dernière, Paul Tucker, le favori pour la succession de Mervyn King en juin prochain, s’est mis d’accord avec son rival Sir John, disant que le gouvernement devrait appliquer le cantonnement sans délai.
Des témoins plus expérimentés entendus par la commission Tyrie, comme Paul Voclker, ancien directeur de la Réserve fédérale américaine, ont été plus directs, notamment parce que leur carrière étant derrière eux, ils sont plus libres de dire la vérité.
« Le cantonnement tend à être plus perméable et si l’on veut vraiment séparer clairement et fermement ces opérations, alors il faut les mettre dans des établissements différents », a dit Volcker.
« Selon moi, on ne met pas deux fonctions dans le même établissement en leur disant qu’elles n’ont pas le droit de communiquer. »
Bien sûr qu’il ne faut pas ! Toute personne ayant un tantinet de jugeote financière sait que c’est vrai.
Sir Mervyn [King] aussi a dit à la commission la semaine dernière qu’il a « toujours pensé que la séparation totale était la voie à suivre ». Employant un langage fort, le gouverneur a expliqué clairement que les banques pourront contourner tout cantonnement si l’interprétation de la séparation était laissée à la discrétion des banques et des régulateurs, comme ce serait le cas avec les mesures Vickers.
« Si le jugement tourne à la négociation, on connaît d’avance le vainqueur », a averti Sir Mervyn [King]. Il y a un « risque clair » que les banquiers puissent être capables d’« embobiner » les garde-fous, a-t-il dit.
Evidemment, cela est vrai. Tout ce que l’on a vu depuis dix ans à la City et à Wall Street va dans ce sens. L’on doit imposer aux banques une ligne jaune explicite, une séparation institutionnelle entre banques de détail et d’affaires, que tout le monde puisse bien identifier. Ce n’est qu’ainsi que l’argent du contribuable et l’ensemble de l’économie seront mis à l’abri d’un nouveau krach que provoqueraient les banques.
Malgré tout, Tucker a défié Sir Mervyn [King] en répondant « pas totalement » à la commission qui lui demandait s’il était d’accord avec le gouverneur de la Banque d’Angleterre. S’il répond ainsi, c’est que Tucker est depuis longtemps le favori des banquiers au poste de gouverneur, et qu’il sait que celui qui décide en dernier ressort de sa nomination est George Osborne, le Chancelier de l’échiquier qui se refuse à bousculer les banques.
Lors de son audition devant la commission Tyrie, Osborne a déclamé qu’une séparation « agressive » des banques ne servirait en rien le Royaume-Uni, insistant sur le fait que le cantonnement rendrait le système financier plus sûr. Notons que ce même gouvernement a pourtant lui même affaibli un plan Vickers déjà fragile en reportant son application à 2019.
Tyrie est une personne estimable et indépendante ayant le soutien des poids-lourds de la commission. Je ne peux qu’espérer que l’obstination d’Osborne à faire que la commission accélère pour adopter la proposition Vickers, renforce leur résolution à s’opposer et à rejoindre les « néandertaliens ».
Tyrie et ses collègues devraient dire haut et fort, avec preuves et avis d’experts à l’appui, que les mesures Vickers ne sont pas suffisantes.
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