par Guillaume Dubost, Agora Erasmus, Bruxelles
Pour celui qui s’intéresse au débat international sur la réforme du système bancaire et financier, les propositions avancées offrent l’embarras du choix, et il devient tentant de définir la solution au travers d’une synthèse bien dosée de chacun des ingrédients. Mais comme en chimie, certains éléments pris séparément peuvent avoir des effets bénéfiques, tandis que leur mélange peut se révéler explosif. Cette synthèse délicate fut le sujet de plusieurs conférences organisées à Bruxelles ces deux derniers mois.
Un très bon exemple en est la journée de débats intitulé « 5 ans après, que reste-t-il dans l’agenda des réformes financières », organisée le 7 novembre par l’ONG Finance Watch, un lobby anti-banque qui prône un retour de la régulation financière dans l’Union européenne. L’organisation défend depuis longtemps l’idée d’une séparation stricte entre les banques de dépôt et les banques d’affaires, sur le modèle de la loi Glass-Steagall de Roosevelt en 1933. D’ailleurs, la brochure fournie à l’occasion aux participants, faisait apparaître clairement cette démarche comme le premier enjeu pour l’Europe.
Aussi bien le syndrome des banques « trop grosses pour faire faillite » qui représentent toujours un risque systémique, que le volume extravagant des produits dérivés dans leur bilan, furent présentés comme le problème majeur à résoudre. Mais alors la question suivante fut : quelle forme de mise en faillite (désormais rebaptisé « résolution bancaire ») faut-il choisir ? Comment faire pour que l’argent du contribuable, par les plans de renflouements bancaires des Etats (bail-out) [1], ne soit plus mis à profit ?
C’est l’objectif affiché par la Commission européenne, qui doit bientôt présenter son propre projet de réforme aux députés européens. Pour compléter l’Union bancaire et le Mécanisme européen de stabilité, un 3ème pilier est nécessaire : le Mécanisme unique de résolution. Celui-ci doit, selon ce qu’a affirmé le commissaire Michel Barnier lors d’un débat le 12 octobre, faire en sorte que « les banques payent pour les banques, plus les contribuables ! »
C’est alors, quelle horreur, que fut présenté, au nombreux représentant d’institutions européennes, nationales, bancaires, régulatrices, …, l’idée qu’on puisse passer du bail-out au bail-in [2], en mariant ce dernier avec le Glass-Steagall !
L’expérience chypriote
De prime abord, le bail-in a de quoi séduire les plus naïfs. N’est-il pas normal que les créanciers d’une banque qui spécule, lorsque celle-ci fait des paris douteux, doivent assumer les pertes ? Seulement, comme cela fut le cas à Chypre, très rapidement, on a mis la main non seulement sur les actifs des actionnaires et les détenteurs des créances obligataires, mais également sur l’argent des simples déposants, soudainement transformés en « créanciers » garantis et non-garantis. D’ailleurs, si le parlement chypriote n’avait pas rejeté en bloc le plan de la Troïka, l’ensemble des dépôts des banques chypriotes aurait été saisi. Constatant que cela violait un des piliers du capitalisme, c’est-à-dire le respect de la propriété privée, tout en ruinant le peu de confiance que gardent les peuples pour leurs banques, l’UE s’est résolue à garantir les dépôts de moins de 100 000 euros par personne et par banque. A Chypre, requalifiés de « créanciers non-garantis », d’innombrables retraités, PME et coopératives agricoles ont été touchés et forcés à déposer le bilan après cette ponction.
Ensuite, et Finance Watch est suffisamment informé pour le savoir, la BRI et d’autres organismes de l’oligarchie financière préconisent qu’on fusionne les fonds de garantie des dépôts avec les fonds de résolution bancaire. En bref, sur le papier, on garantit les dépôts, mais dans la pratique, on confisque l’argent prévu à cet effet pour « préserver la stabilité » du système.
Du Glass-Steagall dans toutes les sauces
Finance Watch, qui avait déjà endossé l’Union bancaire, en y mettant comme condition préalable la séparation bancaire, soutient maintenant le bail-in, sous la même condition. Pour l’ONG, la séparation bancaire n’est qu’une régulation d’un système qu’on croit sauvable si l’on introduit un peu de régulation. Alors que pour nous, le retour au Glass-Steagall n’est que le premier pas pour briser les empires financiers de la City et de Wall Street, en rétablissant une concertation entre des « banques de la nation » capables de fournir à nos nations du crédit productif au service de l’équipement de l’homme et de la nature.
Dans la logique financière de nos adversaires, avec l’inter-connectivité complexe au niveau international des institutions financières, toute application de la résolution bancaire à une mégabanque comporte encore trop de risques de contagion systémique. Il faut donc appliquer la résolution de manière progressive, si possible sans alerter les marchés, avec un renflouement publique pour l’accompagner en douceur.
Seulement, vu le niveau d’endettement des Etats, en cas de crise bancaire majeure, les Etats manqueront de toute façon de fonds pour opérer des renflouements (bail-out) avec l’argent public. C’est donc pour répondre à la complexité de la mise en œuvre du bail-in que la séparation des activités bancaires est alors mise en avant : sous prétexte d’une plus grande transparence entre les activités commerciales et de marché, on viser à faciliter le passage éventuel à l’acte. Par contre, les produits dérivés, des paris financiers qui représentent 10 fois le PIB mondial et qui ont été un des facteurs majeurs dans la crise de 2008, continuent à rester une variable invisible dans la résolution.
Aussi bien Sheila Bair, ancienne présidente de la FDIC [3], que Thierry Philipponnat, secrétaire général de Finance Watch, pourtant deux fervents soutiens du Glass-Steagall admettent donc, selon l’idée que quelqu’un doit bien payer la facture, le principe du bail-in.
Ce qu’ils ne veulent pas comprendre, c’est que le Glass-Steagall est une arme contre l’enfer monétariste dans lequel se trouve plongée une part toujours plus importante de la population. Une arme brandie par les peuples souverains face à l’oligarchie, pour mettre fin à l’impunité d’un système financier devenu criminel. Mais pour comprendre cela, il faut d’abord accepter de mettre de côté sa vision de comptable.
[1] Le bail-out (littéralement renflouement externe), c’est le renflouement d’une banque à partir de ressources extérieures comme l’argent public ou la planche à billets des banques centrales.
[2] Le bail-in, en français « renflouement interne » est une technique de résolution bancaire. Une banque insolvable ou en difficulté, au lieu de faire appel à des ressources externes (l’Etat) doit d’abord valoriser ses propres actifs. Ses dettes seront réglées en utilisant les ressources internes de la banque en commençant, en théorie, par faire participer les actionnaires, puis les créanciers et ensuite les dépôts non-garantis (ceux de plus de 100 000 euros). C’est le modèle qui a été appliqué au début de l’année dans le cas de Chypre. Voir la vidéo « Résolution bancaire : quand le vol devient légal ».
[3] La Federal Deposit Insurance Corporation fut créée en 1933 par le Banking Act (autre nom du Glass-Steagall Act). L’Etat américain s’engageait à assurer jusqu’à un certain montant des dépôts des clients des banques commerciales, sous condition qu’elles soient rigoureusement séparées (en capitaux, actionnaires, management, etc.) des banques d’affaires.
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