Ce texte est extrait de l’ouvrage « Que faire contre les inégalités ? 30 experts s’engagent », sous la direction de Louis Maurin et Nina Schmidt, édition de l’Observatoire des inégalités, juin 2016, 120 p., 7,50 €.
Si l’on peut en contester certains détails, ce document a le grand mérite de mettre les pieds dans le plat quitte à casser quelques assiettes.
L’urgence
(…) Il est temps de répondre aux besoins concrets de la population.
À gauche comme à droite, au-delà des clivages et des postures, qui n’admettrait pas la nécessité d’améliorer la prise en charge des personnes âgées démunies, de créer des places d’accueil pour les jeunes enfants, de faire un effort pour résorber le mal-logement, etc. ?
Qui accepte que des familles dorment à la rue ou que des parents n’aient pas les moyens de faire soigner leurs enfants ? La liste est longue des domaines où l’on sait qu’il faudrait agir, et qui font consensus.
(…) Or, réduire les inégalités n’est pas une question de moyens. (…) mais de choix politique.
Combien cela coûterait-il ?
(…) A titre de comparaison, il est utile de rappeler que le « pacte de responsabilité » de la majorité actuelle, qui engage la baisse des prélèvements pour les entreprises et les ménages, coûtera 46 milliards d’euros par an, rien que l’équivalent du budget de l’Éducation nationale... (1 million d’emplois)
Les 46 milliards de baisse de prélèvements par an (à partir de 2017) auraient permis, par exemple :
- d’accorder un minimum social de 500 euros par mois à 200 000 jeunes (1,2 milliard) ;
- de rénover et construire chaque année 100 000 logements sociaux (trois milliards) ;
- d’ouvrir 200 000 places de crèche supplémentaires pour quatre milliards d’euros ;
- de créer 300 commissariats dans les quartiers sensibles pour environ un milliard d’euros ;
- d’allouer un chèque autonomie de 500 euros mensuels à 500 000 personnes âgées démunies (trois milliards) ;
- de créer 200 000 emplois d’aide éducative en milieu scolaire (cinq milliards) ;
- de proposer un chèque loisirs-culture de 350 euros par an à 14 millions de jeunes de moins de 20 ans (4,8 milliards) ;
- de créer 200 000 emplois d’utilité publique par an (quatre milliards) ;
- de rendre accessibles les bâtiments publics aux personnes à mobilité réduite (deux milliards pour une année) ;
- ou encore de rénover 6 000 places de prison par an (un milliard).
Cet inventaire à la Prévert a un côté absurde. Il ne s’agira jamais de faire tout cela en même temps, même si potentiellement, ce serait envisageable. Il montre simplement l’univers des possibles. Nous aurions aussi pu allonger la liste des urgences. Chiffrer des écoles de la deuxième chance, des murs anti-bruit, des financements pour les énergies renouvelables, des bourses pour les étudiants, des tablettes numériques pour les écoliers, le remboursement de certains soins coûteux comme les prothèses dentaires, etc.
Parmi toutes ces mesures (dont nous avons largement surestimé les coûts) proposées dans notre outil, rares sont celles qui ne dépassent pas le clivage politique gauche/droite si l’on sort des postures prises par les uns ou les autres.
Toutes ou presque sont considérées comme des urgences. Les deux bords politiques reconnaissent que nos prisons sont dans un état indigne, que l’on manque de policiers dans les cités où le trafic de drogue se développe, qu’une partie des personnes âgées aux faibles revenus finissent leur vie dans des conditions indignes.
Nous avons délibérément limité nos mesures aux besoins sociaux de la population. Nous aurions pu aussi envisager un volet destiné au soutien des entreprises à la création d’emplois. Par exemple un fonds de dix milliards d’euros par an destiné à soutenir la recherche, le développement, ou les nouvelles technologies.
(…) Malheureusement, depuis des années, les gouvernements ont plus souvent suivi la voie d’une idéologie économique conservatrice et écouté les sondages, qu’ils n’ont cherché à comprendre les besoins concrets de leur population et à y répondre.
(…) Ce qui frappe avant tout, c’est l’absence de réflexion collective sur ce sujet, remplacée par une logique comptable qui part de l’a priori idéologique (médiatiquement entretenu) que les prélèvements sont trop élevés en France. Nombreux sont ceux qui intègrent l’idée que l’État n’a plus d’argent dans les caisses, alors qu’en même temps, il se prive d’une somme qui représente l’équivalent du budget de l’enseignement primaire et secondaire.
Des emplois utiles pour beaucoup moins cher
L’argument mis en avant par les partisans de la baisse des cotisations des entreprises est la création d’emplois, la contrepartie du « pacte de responsabilité ». Selon Valérie Rabault, rapporteure socialiste du budget, les mesures de baisse de prélèvements auraient pour effet de créer 190 000 emplois à l’horizon 2017.
40 des 46,6 milliards prévus sont destinés aux entreprises. Chaque emploi coûterait donc 216 000 euros, soit un salaire de 18 000 euros par mois, environ 9 000 euros nets sans les cotisations patronales et salariales. Même si l’effet était deux ou trois fois plus important, la dépense n’aurait aucun sens. Heureusement, le coût net ne sera pas si élevé. Ces emplois entraînent de l’activité, donc des recettes fiscales.
Le chiffrage n’a de sens qu’en comparaison avec d’autres options en matière de création d’emplois. Par exemple, subventionner 200 0000 emplois associatifs à hauteur de 20 000 euros annuels par emploi (beaucoup d’associations en créent avec bien moins) dans l’humanitaire, l’environnement, l’action caritative, la culture, le soutien scolaire ou dans d’autres domaines jugés d’utilité publique, coûterait quatre milliards, moins de dix fois le manque à gagner du pacte de responsabilité.
Dans notre « Évaluateur des dépenses publiques », nos 200 000 emplois d’aide éducative coûtent cinq milliards. Et eux aussi entraînent de l’activité, donc un coût net bien moins grand. La comparaison est sans appel (...)
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