Nous avons détaillé ici les raisons scientifiques, sanitaires et économiques pourquoi Solidarité & Progrès s’oppose avec force à la fermeture du réacteur nucléaire de recherche Osiris sur le plateau de Saclay (91) en 2015.
Et puisque le sujet est largement ignoré par les grands médias, Mme Martine Debiesse, une citoyenne de Gif sur Yvette (91) qui s’exprime ici à titre strictement personnel, a publié le 21 août 2014 une lettre ouverte au Président de la République attirant son attention sur les graves conséquences de cette décision. Après la lecture de son texte, vous aussi, vous ne pourriez plus dire « on ne savait pas ».
LETTRE OUVERTE à
M. le Président de la République,
M. le Premier Ministre,
Mme la Ministre des affaires sociales et de la santé,
Copie à Mme la Députée de la 5ème circonscription de l’Essonne
Copie à M. le Président de l’OPECST
Gif sur Yvette, le 21 août 2014
M. le Président de la République,
M. le Premier Ministre,
Mme la Ministre des affaires sociales et de la santé,
Vous venez de confirmer, en toute conscience, votre décision de fermer Osiris, le réacteur du CEA Saclay, producteur de technétium 99, pour la fin décembre 2015. Et de prendre ainsi, de l’avis même de l’Académie de médecine, le risque d’une crise sanitaire grave pour les années 2016-2018 pour cause de pénurie de ce radio-isotope irremplaçable à plusieurs égards.
Lors d’une réunion de la CLI (Commission Locale d’Information) des installations nucléaires du Plateau de Saclay en avril 2011, le représentant de la DDT (Direction Départementale des Territoires) avait dit « L’Etat a bien intégré cette problématique et a prévu l’arrêt du réacteur Osiris dans un calendrier identique au développement de la zone »
Dans le CDT (Contrat de Développement Territorial) de Paris Saclay, il est écrit fiche 22 : « De façon concomitante, une réflexion sur l’aménagement d’ensemble du Christ de Saclay rendue possible à terme par l’évolution des activités nucléaires sur le site du CEA sera conduite. »
David Bodet, alors président de la CAPS (communauté d’agglomération du Plateau de Saclay) répondant au collectif « Enterrez le Métro », avait commenté début mars 2014 : « Le gros souci est que la gare est dans le périmètre de sécurité des réacteurs du CEA (Osiris et Orphée) et ne peut être construite avant l’arrêt et la mise en sûreté de ceux-ci (dates non fixées). »
La raison officielle évoquée pour cette fermeture est le coût prohibitif de la mise en sécurité d’Osiris, j’y reviendrai plus bas. A la lecture de ces extraits pourtant, on peut croire que cette décision est motivée par une autre volonté : celle de supprimer au plus vite les contraintes liées au projet Paris Saclay, et en particulier, à la construction du métro ligne 18 (dont une gare, celle du Christ de Saclay, se trouve effectivement dans la zone de danger immédiat du réacteur Osiris). Construction qui vous paraît depuis peu encore plus urgente avec votre volonté de candidature aux JO 2024.
Cette hypothèse sur la raison pour laquelle Osiris ferme prématurément par rapport à la prise de relais du réacteur Horowitz à Cadarache, serait tout simplement insupportable pour de simples citoyens : si c’était le cas, cela signifierait qu’en plus de rayer de la carte des terres agricoles en les artificialisant, chose déjà inacceptable, ce projet d’Etat aurait comme conséquence collatérale de condamner des milliers de malades (car je rappelle que plus d’un million d’examens sont réalisés chaque année grâce au technétium d’Osiris) à une mort bien plus probable que si on avait pu leur faire les examens existant actuellement.
Je reviens à l’argument financier qui a été avancé pour ne pas prolonger des quelques années nécessaires le fonctionnement d’Osiris. C’est un vieux réacteur et sa sécurité n’est plus assurée, a jugé l’ASN. Si la construction d’un dôme sur le réacteur serait compliquée et très coûteuse, les autres améliorations que propose cette instance sont possibles pour un investissement initial de 6 millions d’euros et des dépenses annuelles de 6 millions, soit pour un total de 24 millions d’euros si le réacteur Horowitz prend, comme prévu, le relais en 2018.
Cette somme ne représente qu’une goutte d’eau des investissements programmés pour le projet Paris-Saclay pour lequel un minimum de 4,8 milliards de dépenses a été comptabilisé par le collectif Moulon 2020...
Prenons, pour mieux se rendre compte de ce que représentent ces 24 millions, le parking de 2000 places prévu au Christ de Saclay. Il est annoncé pour un coût de 20 millions d’euros. A supposer qu’il soit vraiment nécessaire (reconnaissez qu’on peut se poser la question alors qu’arriveront au même endroit le métro et le bus en site propre), est-il plus important que le maintien d’Osiris le temps que le réacteur Jules Horowitz soit terminé ? Peut-on mettre en balance un parking et la santé des citoyens ?
En outre, l’argument d’un coût trop important de la mise en sécurité d’Osiris est balayé quand on lit que les examens qui ne pourront plus se faire grâce au technétium seront remplacés par d’autres… beaucoup plus coûteux. Tant pis pour le « trou de la sécu » ? A moins que vous n’ayez en tête de ne pas, ou mal, rembourser ces examens ? Je ne peux le supposer de la part de femmes et d’hommes classés à gauche sur l’échiquier politique, car cela voudrait dire que seuls les citoyens les plus aisés auraient les moyens de s’y soumettre, ce que vous ne pouvez bien évidemment pas admettre.
L’argument financier ne tient pas.
Cette décision est de plus totalement en décalage avec la volonté affichée de faire du Plateau de Saclay un lieu d’exception et « à la pointe ». Osiris n’est-il pas à la pointe quand il peut fournir 8% de la production mondiale ? Peut-on citer beaucoup de produits dont la France assure 8% de la production mondiale ? N’est-on pas en train, avec cette décision, de sacrifier la technique et la science, dans un domaine qui est un des fleurons nationaux de notre pays, au profit de l’immobilier, du béton et des enjeux locaux ? Est-ce cela qu’on veut envoyer comme message aux forces vives, aux plus jeunes, aux hommes et femmes de science et de technique de notre pays ? Que notre gouvernement fait le choix de négliger un réacteur qui assure 8% de la production mondiale d’un produit de pointe, sans remplaçant prêt à prendre son relais ?
J’en reviens à la raison pour laquelle vous décidez ainsi, en toute conscience.
Je dis « en toute conscience » car de toutes parts, vous avez été alertés du risque de crise sanitaire que provoque votre décision pour les années 2016-2018 :
- Par l’Académie de Médecine qui souligne que pour six indications majeures (dont la détection du ganglion sentinelle, systématique dans le cas de cancer du sein), aucune substitution n’est possible.
- Par l’Académie de Pharmacie, qui s’associe pleinement à l’Académie de Médecine sur ce sujet et demandait, le 24 février 2014 « instamment aux autorités compétentes que l’autorisation d’exploitation du réacteur OSIRIS soit prolongée jusqu’à la mise en service effective du futur réacteur du CEA annoncée entre 2018 – 2020. »
- Par le professeur Aurengo, chef du service de médecine nucléaire du groupe hospitalier de la Pitié-Salpêtrière, qui explique que les moyens de remplacements proposés, en plus d’être très coûteux, ne fonctionnent pas pour les enfants. Il évoque aussi « de véritables pertes de chances pour les patients ».
- Par le CEA, tant la direction que les syndicats, les salariés du CEA s’étant même mis en grève illimitée pour vous faire comprendre encore plus, l’importance capitale de la prolongation d’Osiris.
- Par des élus de la République, de divers bords politiques (Bruno Gilles (UMP), Marie-Noëlle Lienemann (PS), Marcel Rogemont (Socialiste, républicain et citoyen), Jérôme Guedj (PS), un ancien Ministre du précédent gouvernement, même, François Lamy (Socialiste, républicain et citoyen)…)
- Par Guy Turquet de Beauregard, directeur général de Cis-Bio International et président de l’Association européenne des producteurs de moyens d’imagerie médicale : « Le savoir-faire français agit comme une assurance pour pouvoir subvenir à tout moment à la demande mondiale ». Il se surprenait, lors de la dernière réunion de la CLI des installations nucléaires du Plateau de Saclay, en juin dernier, de la décision de fermer Osiris avant que Horowitz soit prêt.
Vous ne pourrez en aucun cas dire « on ne savait pas ».
Vous saviez et au-delà de la rationalité scientifique et technique, vous avez pris cette décision, lourde de conséquences en termes de santé publique et qui aura, à n’en pas douter, un impact international. Il me semble donc que vous vous devez d’expliquer quels sont les autres aspects essentiels pour la vie de notre pays qui ont primé sur l’objectif de santé publique.
Et permettez-moi de vous dire, M. le Président de la République, M. le Premier Ministre, Mme la Ministre des affaires sociales et de la santé, avec tout le respect que je dois à vos fonctions, que si la raison de cette décision qui met en péril la santé de vos concitoyens, est de garantir l’avancée, dans les temps, du projet Paris-Saclay et de la construction d’un métro, c’est, d’un point de vue de simple citoyenne, totalement insupportable.
Avec mes respectueuses salutations républicaines,
Martine Debiesse
(Gif sur Yvette)
Copie à Mme la députée de la 5ème circonscription de l’Essonne
Copie à M. le Président de l’OPECST
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