Dans une chronique parue le 5 septembre dans les quotidiens belges Le Soir et De Morgen, Paul De Grauwe, professeur d’économie (London School of Economics, Université de Leuven) a apporté son soutien à l’annonce courageuse du Premier ministre belge Elio di Rupo de vouloir scinder les banques en deux. Il saisit l’occasion pour réfuter la plupart des arguments erronés avancés par les banques pour s’opposer à un retour intégral au Glass-Steagall Act.
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Scinder les banques : courage, Monsieur le Premier ministre !
Paul De Grauwe, professeur à la London School of Economics
Quatre ans après l’éclatement de la crise bancaire, le gouvernement belge fait une proposition de réforme fondamentale du système bancaire. Il propose de scinder les banques en deux. D’une part il y aurait les banques de dépôts, d’autre part les banques d’affaires. Enfin, dira-t-on. Depuis des années, pas mal d’économistes insistent sur le fait qu’une telle opération est essentielle pour la stabilité du système financier. Pourquoi ?
La crise bancaire trouve son origine dans le fait que depuis les années quatre-vingt, les autorités se sont mises à tolérer et parfois même à encourager les banques à se lancer dans la spéculation financière. Tandis qu’avant cette période, il existait en Belgique et dans beaucoup d’autres pays une stricte séparation entre les banques de dépôts et les banques d’affaires, limitant les activités spéculatives à ces dernières, cette séparation fut graduellement éliminée, rendant possible que la banque de dépôt du coin de la rue se lance dans des activités financières à haut rendement. Celles-ci vont toujours de pair avec un risque élevé.
Deux problèmes se posent quand on autorise les banques de dépôts à se lancer dans la spéculation. Tout d’abord, il y a la fragilité inhérente des banques de dépôts. Celles-ci attirent des dépôts à court terme et transforment ces dépôts en prêts à long terme aux entreprises et aux ménages. Ceci implique que si tous les déposants prennent l’idée de convertir leurs dépôts en argent liquide au même moment, les banques ne pourront pas satisfaire cette demande de conversion, étant donné que les dépôts sont immobilisés en prêts à long terme. Il faut donc éviter que les banques de dépôts prennent trop de risques. Un excès de risque entraîne régulièrement des pertes considérables. Quand cela se produit, les déposants perdent confiance et se ruent vers les banques afin de retirer leur argent. De ce fait, ils précipitent une crise bancaire.
Il y a un deuxième problème avec les banques de dépôts. C’est le fait que l’Etat garantit une grande partie des dépôts. Ceci a comme effet pervers d’inciter les banquiers à prendre des risques qui ont un effet asymétrique. Quand tout va bien, les profits sont pour les banquiers. Quand les risques entraînent des pertes, l’Etat qui garantit les dépôts doit prendre les pertes en compte. C’est bien confortable pour le banquier… Toutefois, cette asymétrie qui privatise les profits et socialise les pertes est le moyen le plus sûr de promouvoir la prise de risques excessifs par les banques et fragiliser encore plus le système bancaire.
Il faut donc casser cette asymétrie. Et il n’y a qu’un moyen : la scission de nos banques qui aujourd’hui sont en même temps banques de dépôts et banques d’affaires. Cette scission est essentielle pour le maintien de la stabilité financière et donc pour notre bien-être.
Ce ne sera pas facile pour le Premier ministre. Le lobby des banques est prêt à une campagne de désinformation. Voici les arguments qu’ils nous lanceront à la tête.
Premier argument : il y a trop de problèmes pratiques rendant l’opération de scission infaisable. Je rétorque : nous avons connu la séparation pendant des décennies. C’est la preuve que c’est faisable. Ce ne sera pas toujours facile, mais si la volonté existe, cela peut se faire.
Deuxième argument : cela ne peut se faire que si les autres pays font de même. C’est l’argument qui sera employé « ad nauseam ». Les banquiers nous diront que si l’idée de scission est bonne, il faudra attendre que tout le monde soit converti à l’idée. Ce qui veut dire que cela ne se fera pas. Les banquiers montreront leur bonne volonté en sachant que cette bonne volonté n’aboutira à rien.
L’argument selon lequel il faut attendre les autres est faux. Le Canada, qui est voisin du colosse financier américain, a maintenu la séparation entre banque d’affaires et banque de dépôts tout au long des dernières décennies, tandis que les Etats-Unis décidèrent de fusionner les deux types de banques. Ceci a isolé le Canada de la crise bancaire qui a ravagé son voisin. Le Royaume-Uni a pris des dispositions lui permettant de réintroduire la scission. La Belgique aussi peut le faire, même si les autres ne le font pas.
Troisième argument : il y aura perte de compétitivité. Et comme nous le savons tous, perte de compétitivité, c’est l’enfer économique. Il n’y a aucune raison de la craindre. Le succès d’une banque de dépôts est basé sur la confiance. La taille n’a rien à voir avec cela. Bien sûr, une banque de dépôts fait en moyenne moins de profits qu’une banque d’affaires. Mais elle connaît plus de stabilité de ses profits. Cette stabilité fait partie de la compétitivité des banques de dépôts.
Quatrième argument, sans doute le plus ridicule : une scission aura comme effet de réduire la croissance économique. Nous avons connu la plus forte croissance quand la scission était un fait. Depuis que nous avons fusionné les deux types de banques, notre croissance n’a cessé de diminuer. Bien sûr, il y a beaucoup d’autres raisons pour lesquelles la croissance a diminué. Mais le fait que nos banques se lançaient de plus en plus dans des activités spéculatives ne semble pas avoir été une force capable de stimuler la croissance économique de façon soutenable.
La tâche du Premier ministre sera ardue. Il fera face à un lobby banquier qui mobilisera des ressources considérables pour faire échouer sa proposition de scission de nos banques en banques de dépôts et banques d’affaires. Il lui faudra du courage. Je lui souhaite beaucoup de succès.
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