Tu la vois, toi, la reprise ? Non, mais je vois une spéculation folle ! Car en réalité, une bonne partie des milliards d’euros injectés pour « sauver les banques » se retrouve, non pas dans l’économie réelle, mais dans la spéculation effrénée des produits financiers dérivés, un marché de gré à gré à 92% opaque.
En pariant, via ces produits sur les denrées alimentaires, les marchés font exploser les prix, parfois même sans qu’il n’existe de réelle pénurie. Cependant, s’il faut organiser une pénurie pour faire monter les profits, on ne fera pas dans les sentiments ! Quoi qu’il en soit, aujourd’hui cette finance folle provoque de nouvelles « émeutes de la faim » potentiellement plus meurtrières que celles qui frappèrent une quarantaine de pays en 2008.
Selon les experts, pour les spéculateurs, 2010 représente une forme de rattrapage par rapport à 2009, marquée par le contrecoup de la crise des subprimes et le plongeon de la production industrielle. « Faire du blé », ils ne pensent qu’à ça, en surfant sur l’instabilité des prix des denrées alimentaires et des métaux de base.
Exemple ? En 2010, le volume moyen quotidien de produits financiers dérivés, échangés sur le « floor » à la criée et sur le système électronique de Chicago Mercantile Exchange (CME) Group, opérateur de référence sur les produits agricoles, s’est établi à 12,2 millions de contrats, soit un bond de 19% par rapport à 2009. Inversement, le volume d’actions, moins rentable à court terme, échangé sur la bourse de New York, était, lui, en baisse de 20,9%.
Prix en hausse, production en baisse
Pour la réalité de nos estomacs, tous les indicateurs virent au rouge. L’agence des Nations unies pour les questions alimentaires, la FAO, qui mesure les variations des prix d’un panier de 55 produits – céréales, oléagineux, produits laitiers, viande et sucre, entre autres – a annoncé le 5 janvier que son indice, établi à l’échelle mondiale, atteignait 214,7 points, en hausse de 4,22% et dépassant son précédent record de 213,5 points de juin 2008, année des émeutes de la faim. Ce qui inquiète aujourd’hui, c’est qu’il s’agit du sixième mois consécutif de hausse.
Dans un long entretien au quotidien économique Les Echos du 11 janvier, le rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation, Olivier de Schutter, confirme cette réalité, annonçant que les stocks mondiaux de céréales (toutes catégories confondues) ne seront plus que de 427 millions de tonnes en 2011, contre 489,8 en 2009.
Pour sa part, le 8 janvier, le département américain de l’Agriculture (USDA) a revu en baisse de 4,7 millions de tonnes (Mt) son estimation de la production mondiale de maïs en 2010-2011, à 816 Mt.
Résultat : quatre-vingt pays sont d’ores et déjà en situation de déficit alimentaire, avec la région du Sahel en première ligne. Olivier de Schutter tire donc la sonnette d’alarme : « Nous vivons aujourd’hui le début d’une crise alimentaire similaire à celle de 2008 », affirme le rapporteur de l’ONU.
Aujourd’hui, après la Tunisie, l’Algérie, la Libye, la Jordanie et Égypte, c’est l’Inde, le Mexique, la Malaisie, l’Indonésie ou encore le Sri Lanka, qui sont dans la ligne de mire. « Les émeutes de 2008 peuvent se reproduire car localement, les importateurs ont augmenté leurs prix très rapidement. [Or], la facture alimentaire des populations pauvres constitue le gros de leur budget », avertit Jean-Denis Crola, d’Oxfam France.
A qui la faute ?
Premier grand coupable, la spéculation : « Le problème, c’est la spéculation sur les marchés dérivés. Au départ, elle permettait au producteur de vendre sa récolte à l’avance pour s’assurer contre un risque de prix trop bas et à l’acheteur d’acheter à l’avance pour s’assurer contre un risque de prix trop haut. Mais, depuis 2005-2006 et la libéralisation des marchés de produits dérivés aux États-Unis, les investisseurs ont changé de nature. Fonds d’investissement, fonds de pension et autres fonds spéculatifs, qui ont une force de frappe financière considérable, ne sont pas des spécialistes des marchés agricoles. S’est alors développée une sorte d’économie casino avec une logique purement spéculative » , affirme De Schutter.
Pour y remédier, il pense qu’il faut « encourager les pays à reconstituer des stocks alimentaires pour lisser les prix. La gestion de tels stocks est délicate, mais le problème n’est pas insurmontable. Si les réserves sont gérées avec les organisations paysannes, cela protégera producteurs et consommateurs contre des prix très volatils. Ces stocks pourraient être gérés au plan régional avec plusieurs pays qui s’assurent mutuellement contre le risque d’une soudaine mauvaise récolte. L’idée émerge en Amérique centrale, mais aussi en Asie du Sud -où existe une banque centrale du riz. L’idée est de couper l’herbe sous le pied de spéculateurs, qui, par nature, fuient la certitude ».
Avis partagé en France par Xavier Beulin, le nouveau patron de la FNSEA, pour qui il est urgent d’inventer « un encadrement des financiers qui investissent dans les matières premières agricoles ». Il constate qu’il n’est pas « dans l’air du temps de consacrer des moyens au stockage public. Mais peut-on travailler en flux tendus en agriculture comme dans l’industrie ? Je pense que non. Ne peut-on pas faire d’une pierre deux coups, réguler les prix et donner un coup de main aux pays du Sud en organisant le stockage dans ces pays-là ? » Lui aussi s’attend à un premier semestre 2011 « très difficile », en raison de la volatilité des prix.
Libré échange et agrocarburants
Deuxième coupable : le libre-échange britannique non maîtrisé. Xavier Beulin : « Le leitmotiv de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), c’est le démantèlement des barrières tarifaires. Si on les fait toutes tomber, on s’achemine vers des catastrophes d’une ampleur colossale. L’abandon des protections douanières, c’est le renoncement à la protection des produits de première nécessité en Afrique. C’est une insulte à ce continent. Ne nous trompons pas. Le Brésil n’a pas les moyens de nourrir la planète tout entière. »
Troisième coupable : les agrocarburants. Alors que les cours mondiaux du maïs ont augmenté de 48% depuis janvier 2010, les Etats-Unis consacreront cette année 38,3% de leur production aux agrocarburants, contre 30,7% en 2008. « Dans le contexte actuel, c’est complètement irresponsable de continuer ainsi ! » s’indigne De Schutter.
Ainsi, de l’autre côté du Rio Grande, au Mexique, le gouvernement de Felipe Calderon, confronté avant Noël à un doublement du prix des tortillas que pourraient imposer les producteurs, décide, fait inédit pour un pays, de se « couvrir » sur les marchés à terme de Chicago pour un volume de 2 millions de tonnes de maïs !
La hausse de la baguette
La France n’est pas à l’abri du danger. Le 11 janvier, Bruno Le Maire évoqua abruptement sur Canal+ l’hypothèse qu’il fallait limiter les exportations françaises de blé. Après un début de panique sur les marchés, le ministre fut rapidement obligé d’écarter publiquement cette hypothèse. N’empêche que les stocks français sont bien moindres que l’année dernière. Toutes céréales confondues, ils s’élèvent à 23,32 millions de tonnes, soit 5% de moins qu’en 2010. Nous sommes loin d’une pénurie, mais les prix grimpent. Si la tonne de blé se vend actuellement à 250 € la tonne à Rouen, elle pourrait atteindre les 300 €. Pour FranceAgriMer, « il restera encore deux mois avant l’arrivée de la récolte prochaine. Il faudra donc faire des arbitrages entre l’exportation et la demande intérieure… »
L’Association de la meunerie française (AMF) s’avoue « préoccupée pour l’approvisionnement » de son industrie. Selon Familles rurales, le prix de la farine nécessaire à la fabrication d’une baguette a augmenté de 18,6% en cinq ans. Avec la hausse du prix du blé, elle augmentera encore de 4 à 5 centimes supplémentaires.
Solutions
Il est donc urgent, à moins qu’on ne veuille la faire mourir de faim, de mettre la population mondiale à l’abri de la spéculation.
Pour Lyndon LaRouche et Jacques Cheminade, cela commence par imposer un Glass-Steagall global (SIGNEZ la pétition), séparant rigoureusement les banques « normales », qui collectent les dépôts et l’épargne, des banques « d’affaires » spéculatives.
Ensuite, on procédera à une mise en faillite ordonnée du système financier mondial, effaçant les montagnes de dettes purement spéculatives.
En même temps, il faut immédiatement un « nouveau Bretton Woods » établissant des parités fixes entre les devises et une concertation entre banques centrales pour investir, grâce à un retour au crédit productif public, dans des grands travaux d’infrastructures utiles (eau, transport, énergie, santé et éducation) au niveau mondial, du type NAWAPA en Amérique et TRANSAQUA en Afrique. C’est notre combat, rejoignez-le !
Pour creuser :
# petite souris
• 14/01/2011 - 19:32
Merci Karel pour cette analyse-cri-d’alarme !
Tant mieux s’il y a des "élites" qui réagissent... mais tant que cela ne vient pas de tout en haut ...
Dans ce jeu où tout est virtuel et fictif sauf les résultats financiers des spéculateurs, juste pour sourire, je dirais :
si nous laissons les marchés dériver, ils rejoindront les fonds qui les font exister, et alors ??????????
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