Rosa Luxemburg parle d’un "moment de grève de masse", lorsque les exploités montent sur la scène de l’histoire et disent : "Nous sommes le peuple." Dans tous ces cas, il s’agit d’êtres humains dont l’exigence s’élève à l’essentiel : manger, un toit, un emploi digne, la santé, la liberté, l’éducation – bref, le respect de la vie. Nous en serons bientôt là en Europe car la même vague de destruction économique et sociale engendrera un même soulèvement.
Tract diffusé par Solidarité & Progrès à un million d’exemplaires en 2009
Aujourd’hui, comme on le voit en Bretagne, la colère est bien là ! Les mêmes politiques prônées par la Troïka (Commission européenne, FMI et BCE), qui ont renvoyé la Grèce et le Portugal aux conditions sociales décrites par Zola dans son Germinal, frappent chez nous. Si notre colère est juste, il faut encore que nous puissions la transformer en énergie constructive (voir nos propositions). Pour cela, il convient d’identifier les causes de ce qui nous arrive et les responsabilités qui incombent aux uns et aux autres.
Finance folle et poulet fou
N’ayant jamais été appliquée, l’écotaxe n’est que le révélateur des problèmes de la Bretagne. Les suicides d’agriculteurs n’ont pas été provoqués par l’écotaxe, pas plus que l’agonie de la filière porcine et la crise de l’aviculture.
En vérité, la Bretagne et la France subissent les dégâts d’une finance dérégulée et prédatrice. Alors que depuis 1958, la politique agricole commune (PAC) avait fait de la France la première puissance agricole européenne et nous protégeait, aujourd’hui elle sert ceux qui nous dévorent.
En Bretagne, dans le secteur de la volaille, la fin de la politique des « restitutions » (aides publiques accordées par l’UE, adossées aux tonnages de poulets vendus hors d’Europe), décidée le 18 juillet 2013 par la Commission européenne et applicable un an plus tôt que prévu, c’est-à-dire à partir de janvier 2014, a fait exploser tout un système.
Il est vrai que les volaillers bretons Doux et Tilly-Sabco, qui risquent aujourd’hui de licencier des milliers de personnes, empochaient à eux deux la quasi-totalité de toutes les aides européennes prévues pour ce secteur. Non pas pour nourrir les Français ou les Européens, mais pour exporter au Moyen-Orient des petits poulets congelés de qualité médiocre, mais capables de rivaliser avec les productions brésiliennes et thaïlandaises. Rien que pour la période de juillet 2012 à juin 2013, le total des subventions européennes s’élevait à 55,36 millions d’euros, dont 93 % ont été versés à la France, qui a réalisé 94,67 % des exportations concernées. Entretemps, chez nous, 87 % du poulet standard consommé en restauration hors domicile est importé.
Enfermés dans ce système et poussés par les banques, Doux et Tilly-Sabco se sont donc aveuglés sur des marchés qui, sans la manne européenne, n’auraient jamais été compétitifs. Et avec la chute du réal, la devise brésilienne, ces industriels s’illusionnaient que l’UE allait revoir les restitutions à la hausse, alors qu’à Bruxelles, l’Allemagne et le Royaume-Uni réclament régulièrement qu’on réduise le budget de l’UE.
Le porc et les « travailleurs détachés »
Car l’Allemagne défend ses propres intérêts. Depuis peu, elle est devenue le troisième producteur mondial de viande porcine, après la Chine et les Etats-Unis. Les exportations allemandes sont passées de 167 millions de dollars en 1993 à 1,57 milliard en 2011.
A l’origine de ce « succès » ? L’Allemagne exploite à fond la fameuse directive européenne de 1996 sur les « travailleurs détachés ». Ainsi, les abattoirs allemands ont systématiquement recours à des Européens de l’Est. 7000 « intérimaires » roumains, polonais et hongrois, payés à peine 5 euros de l’heure, ont été recrutés avec des contrats de 12 mois. Excédé, le syndicat des entreprises françaises des viandes (SNIV-SNCP) a déposé une plainte auprès de la Commission européenne. Mais tant que Berlin n’aura pas instauré un salaire minimum généralisé, les abattoirs pourront continuer à payer leurs employés avec un lance-pierre.
A l’inverse de l’Allemagne, la production porcine française baisse depuis trois ans au rythme de - 1,5 à - 2 % par an, particulièrement dans le bassin breton. Or 3 %, cela représente 750 000 porcs en moins, soit l’activité d’un abattoir de 800 salariés. Ce qui explique la fermeture de l’abattoir de GAD à Lampaul-Guimiliau (Finistère). Mais que fait GAD pour reprendre sur son site de Josselin une partie des activités du site fermé ? Elle s’aligne sur le « modèle allemand » et embauche 300 « travailleurs détachés » roumains, qui dorment dans un camping ou à dix dans une maison. En France, le nombre d’intérimaires venus de l’Est a explosé de 3300 % en dix ans. Si cette main d’œuvre touche le salaire en vigueur ici, les cotisations patronales payées par les sociétés d’intérim se basent sur les taux payés en Roumanie, c’est-à-dire de 30 % inférieurs On estime qu’au moins 140 000 plombiers, maçons, bouchers et autre manœuvres qualifiés travaillent en France sous cette législation, provoquant la faillite d’entreprises qui ne veulent ou ne peuvent pas s’aligner.
Face à ce monstre de Bolkestein, la France s’incline et François Hollande, en refusant de rompre avec les traités européens et avec un euro devenu monnaie inique, se condamne à devenir, au mieux, la Marie-Antoinette des temps modernes. « Ils ne veulent pas de hausse d’impôts ? Qu’ils goûtent un peu d’écotaxe ! » Comme Marie-Antoinette, notre Président semble souffrir d’un déficit d’empathie et d’une incapacité congénitale de comprendre la colère et l’indignation. Espérons qu’il puisse garder la tête sur les épaules !
Pour conclure, disons qu’en termes de symbole, « ceux de Paris » refusent de comprendre que pour les Bretons, l’installation de portiques sur leurs routes pour récolter l’écotaxe est une provocation aussi choquante que l’incursion des Femen dans les églises pour les orthodoxes russes. Ou bien, pour les Gaulois, les arcs de triomphe édifiés à la gloire des armées romaines !
Suite :
- Colère bretonne (2/3) : sous les Bonnets rouges, les gros bonnets
- Colère bretonne (3/3) : faire un nouveau miracle économique breton
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