Répondant à l’injonction de Londres de faire tout ce qui est possible pour détruire les économies de la Chine et des BRICS, la Banque du Japon (BoJ) a annoncé le 31 octobre qu’elle allait lancer une énième vague d’assouplissement quantitatif (en anglais : quantative easing ou QE), une inflation monétaire représentant, avec ses 750 milliards de dollars annuels d’achats d’obligations du Trésor japonais et de titres de fonds indiciels (ETFs), un incroyable 15 % de son PIB annuel.
Plutôt que de s’associer à la dynamique de développement économique lancée par la Chine et les BRICS, Tokyo préfère ainsi se faire hara-kiri, pour détruire les germes du futur système financier et monétaire mondial qui doit succéder aux institutions actuelles, bientôt balayées par le krach.
Le site financier Seeking Alpha qualifiait le 2 novembre cette décision de la manière suivante : « Japon : QE en tant que morphine pour un patient en phase terminale. » L’auteur ajoute que les gens se rappelleront de l’Halloween 2014 comme le jour où « le Japon s’est suicidé, une preuve supplémentaire du manque de profondeur et de l’entêtement des gens opérant sur les marchés, une absence de tout jugement sur le contexte historique, les conséquences à long terme, la guerre et la politique, ainsi que l’esprit humain ».
Stephen Harner écrivait dans Forbes le 4 novembre qu’il était lui aussi horrifié, décrivant la décision de la BoJ comme « l’un des actes les plus risqués, sinon casse-cou, et possiblement désastreux de l’histoire des banque centrales ». Une dépêche de Bloomberg, publiée dans Economic Times le 5 novembre traite Haruhiko Kuroda, le gouverneur de la BoJ, d’« insensé », quelqu’un qui est train de « transformer la BoJ en plus grande firme de gestion d’actifs du monde ».
En raison des premières phases d’assouplissement quantitatif de la BoJ, la devise chinoise et les BRICS sont déjà ennuyés par l’effondrement de 30 % qu’a subi le yen au cours des deux dernières années. Mais cet ultime acte de la part de Tokyo ne suffira pas à déstabiliser le plus grand programme d’infrastructure de l’ère moderne qu’est la Nouvelle route de la soie.
Le gouverneur de la Banque centrale européenne (BCE) Mario Draghi n’est certes pas en reste, car il a décidé lui aussi, pour les mêmes raisons, de mettre le feu à toute la zone euro : la BCE se prépare donc à procéder au rachat direct de dettes souveraines.
L’arme nucléaire monétaire
La plupart des experts conviennent que ce type de mesures n’a eu et n’aura aucun effet positif sur l’économie réelle. Pourquoi donc un tel acharnement ? Réponse : il s’agit là d’une arme de destruction massive, d’une « attaque nucléaire monétaire » s’inscrivant dans la logique de ce qu’avait proposé l’économiste impérialiste britannique John Maynard Keynes pour l’après-Deuxième guerre mondiale. Celui-ci prônait en effet le « désarmement financier » des Etats, pour faire de la politique monétaire une arme exclusivement réservée à l’empire britannique :
En second lieu, un abandon des droits souverains encore plus prononcé que ce qui a été accepté jusqu’ici doit constituer l’ordre d’après-guerre. Les arrangements proposés [par Keynes lui-même, ndlr] peuvent être décrits comme une mesure de désarmement financier. Ils sont très doux comparativement aux mesures de désarmement militaire que l’on demandera, faut-il espérer, au monde d’accepter. [1]
Il est ainsi plus facile de comprendre pourquoi on a inséré dans les Traités impériaux européens (Maastricht, Nice, Lisbonne, etc...) une clause interdisant à la BCE de financer tout programme de développement élaboré par les Etats membres (phase de « désarmement financier » au nom de la sacro-sainte « indépendance » des banques centrales), pour voir ensuite cette même BCE, à peine quelques années plus tard, violer les traités avec ses « mesures monétaires non conventionnelles », comme l’assouplissement quantitatif.
Il est donc plus qu’urgent pour la France et les autres Etats européens de reprendre le contrôle sur leur politique monétaire, et d’en faire un instrument de financement d’une grande politique d’infrastructure et de recherche scientifique, seule à même de nous extirper de la crise.
[1] J.M. Keynes, Proposals for an International Currency Union, Second Draft, November 18, 1941. Cette proposition, élaborée par Keynes pour le compte de l’Empire britannique en vue des négociations qui allaient poser les bases du système de Bretton Woods en 1945, a été rejetée par le représentant des Etats-Unis, Harry Dexter White, qui insistait que la politique monétaire (et douanière) devait être un instrument au service du développement des peuples. Avec le découplage du dollar de l’or par Nixon en 1971, les Etats-Unis ont transformé leur monnaie en devise impériale et semé les bases de la décadence et de l’actuelle phase d’effondrement du système financier mondial.
# Fournier
• 09/11/2014 - 19:46
Le titre de l’artocle fait référence à Tokyo et Francfort, or il n’est jamais question de Francfort dans l’article. Pourquoi Francfort ?
# Benoit Chalifoux
• 10/11/2014 - 14:46
Francfort est le siège de la Banque centrale européenne.
Il est vrai que ce n’est pas très connu, je vous l’accorde.
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