La campagne d’islamophobie poussée en Europe, dont les caricatures de Mahomet ne sont qu’un aspect, doit beaucoup au professeur Bernard Lewis de la Princeton University. D’origine britannique, celui-ci a gagné ses galons au Bureau arabe du renseignement britannique. Ancien conseiller de Benjamin Netanyahou, il continue d’exercer une influence sur lui.
Lewis a répandu l’islamophobie dès 2004, dans une interview avec le quotidien allemand Die Welt du 28 juillet : « L’Europe fera partie de l’Occident arabe, du Maghreb. La migration et la démographie militent en faveur de cela. Les Européens se marient tard et ont peu ou pas du tout d’enfants. Mais l’immigration reste forte : les Turcs en Allemagne, les Arabes en France et les Pakistanais en Angleterre. Ils se marient jeunes et font de nombreux enfants. Suivant les tendances actuelles, l’Europe aura des majorités musulmanes dans la population d’ici la fin du XXIème siècle au plus tard. »
En réalité, il n’y a que 13 millions de musulmans dans l’UE, soit moins de 3 % d’une population de 450 millions. Néanmoins, le Néerlandais Frits Bolkestein a repris cette citation dans un discours prononcé à l’occasion de son départ de la Commission européenne, où il s’opposait à l’adhésion de la Turquie à l’UE : « S’il [Lewis] a raison, la libération de Vienne [des armées ottomanes] en 1683 aura été vaine. » Toujours en 2004, le cinéaste néerlandais Theo Van Gogh a produit un film pornographique anti-Islam. En novembre de la même année, il était assassiné par un citoyen néerlandais d’origine marocaine, déclenchant une campagne d’islamophobie aux Pays-Bas, marquée par des attaques contre des mosquées et contre des musulmans.
Par ailleurs, un autre islamophobe et collaborateur de Bernard Lewis, Daniel Pipes, était l’un des orateurs à une conférence organisée le 17 février dernier aux Pays-Bas par la Foundation Pim Fortuyn. Celle-ci est liée à la List Pim Fortuyn, le parti populiste anti-immigration dont le fondateur, Fortuyn, a été tué par un environnementaliste extrémiste néerlandais. Ont également pris la parole Laurie Mylroie, de l’American Enterprise Institute, et Robert Spencer, de Jihad Watch.
La conférence a été peu couverte dans la presse, mais le site www.brusselsjournal.com a publié un rapport montrant les liens entre Pipes, les néoconservateurs et Bernard Lewis d’un côté et le mouvement néofasciste européen de l’autre.
Considérons le cas de Paul Belien, que Pipes avait personnellement invité à la conférence. Membre de la société du Mont-Pèlerin, co-auteur d’un livre avec Margaret Thatcher, commentateur régulier du Wall Street Journal, Belien est également co-auteur du programme du parti néerlandais d’extrême-droite, Vlaams Block. Sa femme, Alexandra Colen, est députée de ce parti. En novembre 2004, ce parti a été catalogué comme raciste par la Cour suprême belge. Ses dirigeants l’ont dissout pour en créer un autre nommé Vlaams Belang. Le Vlaams Block avait été fondé par Karel Dillen, un révisionniste qui se considérait comme un collaborateur « passif » des nazis pendant son adolescence, pendant la Deuxième Guerre mondiale.
Dans le scénario du « choc des civilisations », un rôle spécial revient au dirigeant de la Ligue Nord, Robert Calderoli, qui est apparu à la télévision arborant un t-shirt avec une caricature de Mahomet. Calderoli a dû démissionner de son poste de ministre de la Réforme du gouvernement Berlusconi, mais la Ligue du Nord l’a entièrement soutenu. La campagne anti-Islam, et bien entendu cette provocation flagrante, visent toute la population italienne, mais aussi le Vatican, dont le Pape Benoît XVI reste attaché au dialogue des religions.
Plus grave encore, le président du Sénat, Marcello Pera, a déclaré que « Calderoli a eu tort, mais que les musulmans sont pires. (...) L’Ouest ne doit pas s’agenouiller devant l’Islam. » Spécialiste de Carl Schmitt, Pera a rédigé un manifeste signé par 67 « co-penseurs », en défense de la prétendue « civilisation judéo-chrétienne ». Pera était athée avant de découvrir, il y a quelques années, la « tradition judéo-chrétienne ». Il a parrainé des conférences avec Bernard Lewis, Daniel Pipes et Laurent Murawiec.