Par Guillaume Dubost, président d’Agora Erasmus
Puisque le sujet est à l’ordre du jour en France et dans de nombreux pays, il est utile d’examiner ici le précédent historique de la séparation des banques adoptée en 1934 en Belgique, précédent qui peut et doit nous inspirer pour mettre hors état de nuire une « finance folle » qui nous conduit dans le mur.
Le contexte
En octobre 1929, le krach financier de Wall Street s’étend au monde entier. La Belgique compte près de 300 000 chômeurs ; les banques de leur côté connaissent de grosses difficultés de trésorerie, la Banque Belge du Travail – présidée par Edouard Anseele, ancien ministre socialiste – et le Boerenbond – représentant du milieu agricole flamand – doivent demander l’intervention de l’Etat pour sauver l’épargne de leurs clients. Sans être aussi menacées, les autres banques belges voient leurs liquidités gelées dans des activités industrielles incapables de faire face à leurs engagements et épuisent leur marge d’avances à la Banque Nationale. Pour faire face, le gouvernement Jules Renkin (1862-1934) tente d’imposer des mesures impopulaires visant à faire payer les frais de la débâcle au peuple, aggravant ainsi la crise.
Les libéraux, pourtant représentés au gouvernement, réclament la dissolution du parlement ; le roi retire alors sa confiance à Renkin et rappelle Charles de Broqueville (1860-1940) pour présider le Conseil. Le Roi Albert I, protecteur d’Albert Einstein et à l’écoute de tout ce qu’apporte Franklin Roosevelt, missionne le Premier ministre De Broqueville de réorganiser le crédit et le système bancaire à l’instar du modèle du Glass-Steagall Act adopté aux Etats-Unis en 1933.
Le 17 février 1934, lors d’une escalade à Marche-les-Dames, Albert I décède dans des conditions restant à élucider. Le 6 mars, De Broqueville fait un discours au Sénat sur la nécessité de faire son deuil du Traité de Versailles et d’arriver à une entente des alliés de 1914-1918 avec l’Allemagne sur le désarmement, faute de quoi on irait vers une nouvelle guerre...
De Broqueville entame ensuite avec énergie la réforme. Ainsi, le 22 août 1934 sont promulgués plusieurs Arrêtés Royaux [1] qui illustrent la volonté du gouvernement de reprendre le contrôle sur les questions économiques, dont celui qui nous intéresse spécialement ici. Il s’agit de l’Arrêté n°2 du 22 août 1934, relatif à la protection de l’épargne et de l’activité bancaire, imposant une scission en sociétés distinctes, entre banques de dépôt et banques d’affaire et de marché.
Réforme du crédit et des banques
Avant de vous présenter ce texte, il est utile de lire le discours, prononcé devant les actionnaires, du gouverneur de la Banque nationale de Belgique précisant la double réforme décidée par le gouvernement, celle du crédit et de la structure des banques (Bulletin d’information et de documentation du 25 août 1934, IXe année, Vol. II, N° 4). Les deux mesures, affirme-t-il, alors que les banquiers sont furieux, « ont été accueillies avec sympathie par l’opinion et sont assurées de l’adhésion éclairée des milieux compétents ».
Au niveau du crédit, il constate d’abord que « Le taux de l’argent à moyen et à long terme et au moins d’une partie du crédit bancaire est resté trop élevé chez nous. Où se trouvent les causes de ce renchérissement ? En partie dans les appels étendus et fréquents faits par le Gouvernement et les autres pouvoirs publics à l’emprunt, surtout par suite des conséquences de la guerre et de leurs multiples réactions. Elle se trouve aussi dans les excès de la spéculation, qui jadis ont drainé les fonds vers les titres à revenus variables, et dans la crise, qui depuis a épuisé les réserves et immobilisé beaucoup de capitaux de banque, empruntés originairement à court terme, et enfin dans les charges fiscales grevant les opérations financières et notamment les comptes de banque et les obligations. (…) Les mesures prises vont réduire à 4,25 % l’intérêt d’une partie des capitaux empruntés par l’industrie. Cette réduction est importante en elle-même puisqu’elle porte sur des taux de 6 et 7 % et au-delà. »
Ensuite, affirme le gouverneur, « une seconde réforme non moins importante, relative à l’organisation même des banques, recueille également dans les milieux intéressés un concours complet. De tout temps les banques belges ont apporté leur appui à l’industrie et ce fut pour celle-ci un bienfait ; mais depuis une trentaine d’années et surtout depuis la guerre, l’interpénétration entre les grandes industries et les banques s’était considérablement développée et avait soulevé de plus en plus de critiques. On a notamment fait observer qu’en temps de prospérité elle était apparue comme une emprise trop grande de la finance sur l’industrie ; mais en temps de crise elle s’était révélée comme une hypothèque trop lourde de l’industrie sur les banques.
La nouvelle législation crée à cet égard une juste distinction de fonctions. Elle sépare la banque proprement dite, c’est-à-dire la banque de dépôt qui tient le marché de l’argent à court terme, de la banque d’affaires, du trust, du holding ou du pool, qui groupent des industries, coordonnent leur activité et veillent à leurs besoins financiers. Seule la banque commerciale s’occupant exclusivement d’opérations financières à court terme, c’est-à-dire travaillant les capitaux liquides ou aisément liquidables, pourra habituellement recevoir les dépôts du public. Cette distinction est sage, elle est à la base du système bancaire anglais ; elle est largement pratiquée en France et en Hollande et vient d’être introduite aux Etats-Unis. Le délai laissé pour l’application de la mesure est raisonnable, et l’expérience permettra de suivre la réforme et de l’aménager s’il y a lieu. »
Le gouvernement des banquiers
En novembre 1934, le gouvernement s’effondre. Le 21 novembre, le quotidien socialiste Le Peuple annonce la formation d’un nouveau gouvernement associant catholiques et libéraux au pouvoir en titrant : « La Société Générale ouvre une nouvelle filiale ». Le Premier Ministre, George Theunis, avait été administrateur délégué des ACEC (Groupe Empain) et directeur, en l’occurrence, de la Société Générale de Belgique ; son Ministre des Finances, Camille Gutt, était un ancien associé gérant de la Banque Lambert, et avait été président de Ford Belgium. Quant au Ministre « sans portefeuille » Emile Francqui, il avait été gouverneur de la Société Générale de Belgique.
Ce gouvernement restera célèbre dans l’histoire contemporaine de la Belgique sous le nom de « gouvernement des banquiers ». Bien que De Broqueville fût forcé au départ sa réforme bancaire resta.
Plus récemment, c’est la Loi relative au statut et au contrôle des établissements de crédit du 22 mars 1993, inspirée des Directives européennes, qui abroge les dispositions de l’AR de 1934 et a mis en place en Belgique le modèle de « banque universelle ».
Signez sans tarder l’Appel à un Glass-Steagall global
- A gauche le Roi Albert I, à droite le Premier ministre Charles de Broqueville.
22 août 1934
Arrêté royal
relatif à la protection de l’épargne
et à l’activité bancaire
Léopold III, Roi des Belges,
A tous, présents et à venir, Salut.
Vu la loi du 31 juillet. 1934 attribuant au Roi certains pouvoirs en vue du redressement économique et financier et de l’abaissement des charges publiques ;
Vu, notamment, le littera a) du n° I. et le littera a) du n° III de l’article 1er ;
Sur la proposition de Nos Ministres, qui en ont délibéré en Conseil,
Nous avons arrêté et arrêtons :
Article 1
A partir du 1er janvier 1936 ; il sera interdit à ceux qui exercent l’activité de banque de dépôts, c’est-à-dire qui acceptent habituellement des prêts d’argent à intérêt, remboursables dans un délai inférieur à deux ans, de prendre des parts d’associés ou des participations quelconques dans des sociétés ou associations de quelque nature que ce soit, ayant pour objet une entreprise ou des opérations industrielles, agricoles ou commerciales, ou de détenir des obligations de semblables sociétés ou associations.
Toutefois, ils pourront posséder : 1° des actions de sociétés présentant le même caractère de banque de dépôts, sous réserve que ces placements ne dépassent pas le quart de leurs capitaux non empruntés et s’il s’agit d’une société, de son capital social et de ses réserves ; 2° toutes valeurs émises soit par l’Etat belge, par la Colonie ou sous leur garantie, soit par les provinces et les communes ; 3° pendant un délai maximum de six mois, à partir de l’émission, toutes autres actions ou obligations belges ou étrangères de l’émission desquelles ils sont chargés.
Article 2
Les sociétés qui exercent à la fois l’activité de banque de dépôts et ont des parts d’associés, des participations ou des obligations prévues à l’article 1er, paragraphe 1, doivent avant le 1er- janvier 1936 soit renoncer à l’une de ces activités, soit se scinder en deux sociétés distinctes.
Article 3
Les actes constitutifs de sociétés, les actes de partage ou de liquidation, les actes modificatifs de statuts, les actes de fusion, les actes constatant des apports mobiliers ou immobiliers et généralement tous les actes constatant ou mentionnant des opérations faites pour se conformer à l’article précédent ne seront passibles d’aucun droit d’enregistrement ou de transcription, à l’exception du droit fixe général d’enregistrement.
Les opérations qui seront la conséquence de l’article 2 ne peuvent avoir pour effet de rendre exigibles, soit la taxe professionnelle, soit la taxe mobilière, soit toute taxe généralement quelconque imposée par la législation actuelle et dont la perception est confiée à l’administration des contributions directes.
Pour bénéficier des exemptions fiscales prévues au présent article, les actes devront être passés et les opérations effectuées avant le 1er janvier 1936.
Article 4
Les sociétés qui exercent l’activité de banque de dépôt doivent avoir un capital social entièrement libéré et d’un montant de 10 000 000 de francs au moins.
Toutefois, le capital des sociétés créées par application de l’article 2 avant le 30 juin 1935, par la scission d’un établissement financier existant, peut n’être libéré que de 20 % au jour de la constitution. Le montant libéré doit être en tout cas porté à 50% le 30 juin 1935 et la libération doit être totale le 31 décembre 1935 :
Article 5
Dans les sociétés qui exercent l’activité de banque de dépôt, les titres à vote multiple sont interdits.
Article 6
Les sociétés exerçant actuellement l’activité de banque de dépôt n’ont l’obligation de se conformer aux prescriptions de l’article 4, alinéa 1er, et de l’article 5 qu’après un délai de deux ans, à dater de la publication du présent arrêté.
Article 7
A partir du 30 juin 1935, les sociétés exerçant l’activité de banque de dépôt doivent publier tous les mois au Moniteur un état de leur situation active et passive, dressé selon les règles à déterminer par arrêté ministériel. Toutefois, les sociétés qui, au 30 juin 1935, ne seront pas encore scindées conformément à l’article 2, ne seront soumises à la disposition de l’alinéa précédent que trois mois après leur scission.
Article 8
Le conseil d’administration des sociétés qui ont pris la décision de se scinder conformément à l’article 2 du présent arrêté est autorisé à retarder de six mois au plus la tenue de l’assemblée générale des actionnaires à laquelle doit être soumis le bilan établi antérieurement au 1er janvier 1935.
Article 9
Les sociétés, qui dans le délai prescrit ne se seront pas conformées à l’article 2, seront considérées comme étant arrivées à leur terme et liquidées comme il est prévu aux articles 154 et 155 des lois coordonnées sur les sociétés commerciales.
Article 10
Les infractions aux dispositions du présent arrêté et des arrêtés pris pour l’exécution de l’article 7 sont punies des peines prévues par l’article 176, ou si l’auteur a agi avec intention frauduleuse, par l’article 179 des lois coordonnées sur les sociétés commerciales. Toutes les dispositions du livre I du Code pénal sont applicables à ces infractions.
Article 11
Le présent arrêté n’est applicable ni à la Banque Nationale, ni à la Caisse Générale d’Epargne et de Retraite ; ni à la Société Nationale de Crédit à l’Industrie, ni aux sociétés coopératives actuellement existantes.
Article 12
Notre Ministre des Finances est chargé de l’exécution du présent arrêté.
Source : Banque nationale de Belgique
[1] A cette date, deux autres Arrêtés Royaux ont leur intérêt, l’Arrêté n° 1 relatif a l’extension du crédit et l’Arrêté n° 3 relatif à l’organisation de la Société Nationale de Crédit à l’Industrie
# petite souris
• 29/01/2013 - 01:22
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