Pour la première fois dans l’histoire de la Belgique, regroupés dans l’association Constituante.be, des citoyens, des décideurs locaux, des syndicats et un parlementaire, et ce des deux côtés de la frontière linguistique, ont décidé les 6 et 16 juin derniers de porter plainte auprès de la Cour constitutionnelle contre le transfert du pouvoir de l’Etat belge vers des organismes supranationaux.
Ils lui demandent de se prononcer quant à « la primauté » de la Constitution belge vis-à-vis d’un traité intergouvernemental. Il s’agit du fameux Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) ou « Pacte budgétaire », cette loi européenne appliquée depuis 2013 qui oblige les Parlements nationaux à soumettre à l’aval de la Commission européenne les budgets de leurs Etats respectifs. [1]
Le viol de la souveraineté
Le premier et le principal motif de contestation est celui de la « violation de la souveraineté » qu’implique explicitement l’adoption de ce traité. Car ce dernier « réduit à néant le pouvoir du Parlement » de contrôler et de décider le budget national. « Ceci est pourtant la première prérogative d’un parlement, son essence même, sa raison d’être. » Rappelons que c’est notamment par ce pouvoir qu’un parlement, en refusant de valider le budget proposé par un gouvernement, peut le faire tomber. C’est le principe même de la répartition des pouvoirs, depuis des lustres la pierre angulaire de nos systèmes politiques.
Pour Karin Verelst, chercheur à l’Université de Bruxelles (VUB), qui fustige les politiques d’austérité suicidaires promues par la Troïka,
la réduction de la dette et la recherche d’un équilibre budgétaire sont des choix politiques de premier ordre et non pas des lois de la nature. Pour les auteurs de la Constitution belge, la capacité de décision sur le budget était une part essentielle de la souveraineté politique.
Pire encore, en ôtant tout pouvoir au Parlement, on nie toute l’importance des élections. Pourquoi encore voter si nos élus n’ont plus aucun pouvoir ? De ce fait, on nie le citoyen, le privant de tout pouvoir politique ; on nie le concept même de la Nation. Nation qui est définie de la façon suivante par la doctrine belge :
La nation n’est pas la simple addition des citoyens vivant aujourd’hui dans ce pays, mais la personnification d’une collectivité abstraite, indivisible et permanente qui comprend aussi bien les générations actuelles, passées et futures ainsi que leur patrimoine.
Constituante.be précise : « Niant ainsi le concept de la Nation, on nie le pouvoir de notre Constitution. » L’Article 33 précise en effet que « tous les pouvoirs émanent de la Nation. Ils sont exercés de la manière établie par la Constitution ». Avec l’adoption du TSCG, cette dernière en est « réduite à un document d’archive, à un souvenir d’une autre époque ».
Après tout, même le Roi des Belges doit son pouvoir à la Constitution. L’Article 105 précise : « Le Roi n’a d’autres pouvoirs que ceux que lui attribuent formellement la Constitution et les lois particulières portées en vertu de la Constitution même. » Alors au nom de quel principe l’UE pourrait-elle supplanter la Constitution ?
Deuxième argument, selon les plaignants le TSCG viole le principe de subsidiarité qui exige que la responsabilité d’une action publique, lorsqu’elle est nécessaire, soit allouée à la plus petite entité capable de résoudre le problème d’elle-même.
Viol de l’Article 23
Enfin, troisième argument majeur, le TSCG viole les droits économiques, sociaux et culturels tels qu’énoncés à l’Article 23 de la Constitution belge. Car en confiant à la Commission européenne le contrôle du budget des communes, associations, centres publics d’aide sociale (CPAS), etc., ce traité « rend la mission de l’Etat, qui a le devoir de garantir que chaque citoyen mène une vie digne, fort difficile voire impossible ».
Le TSCG et l’austérité qu’il implique met clairement en péril un droit reconnu de la Constitution. La Cour et d’autres instances judiciaires ont déjà reconnu ce principe et défendu ce que l’on appelle le standstill effect, ou le principe de non « retro régression », selon lequel l’on ne peut revenir sur des droits qui ont été précédemment octroyés aux citoyens.
Actions à mener
Pour la suite des actions à mener, Constituante.be envisage, dans un second temps, d’introduire un recours équivalent non plus contre la loi d’assentiment (niveau fédéral) mais contre les accords de coopération qui ont permis de mettre en pratique ce Traité et ce à tous les niveaux de pouvoir.
Pour donner du poids à sa requête, l’association cherche toute association, organisation, CPAS, commune, etc. qui ont déjà ressenti les effets néfastes du TSCG et pourraient avoir intérêt à agir, à se joindre aux plaignants dans le cadre d’une seconde vague d’introduction de recours. Une lettre spécifique dans ce sens a été envoyée aux bourgmestres des communes belges.
Dans un troisième temps, si ces recours sont publiés au Moniteur belge (Le Journal officiel de l’Etat belge), Constituante.be compte lancer une « class action », c’est-à-dire engager tout citoyen à soutenir ce recours.
L’association estime que si la Cour constitutionnelle belge devait débouter ces citoyens, elle abandonnerait son objet social, celui de défendre la Constitution, et « devrait s’auto-dissoudre ».
« Espérons que la Cour constitutionnelle ne s’en remette pas à la Cour de justice européenne à Luxembourg pour s’enquérir de son avis. Cette dernière Cour s’est en effet montrée capable de transformer tous les ‘de facto’ en ‘de jure.’ »
[1] Pour mémoire, en France, le Conseil constitutionnel, estimant le 9 août 2012 qu’aucune révision constitutionnelle préalable n’était nécessaire à la ratification du TSCG, a permis à François Hollande de le faire adopter comme une loi organique votée à la majorité simple à l’Assemblée nationale et au Sénat.
# petite souris
• 25/06/2014 - 22:48
excellente histoire belge !!!
ya toujours une limite à l’humour ............
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