Suite à la visite récente du Premier ministre indien Narendra Modi au Japon, au cours de laquelle les deux pays ont signé un accord de coopération dans les transports et autres projets devant relier l’Asie du Sud avec l’Asie du Sud-ouest et de l’Est, le Premier ministre japonais Shinzo Abe est arrivé samedi le 6 septembre à Dacca au Bangladesh, pour proposer la construction de divers projets d’infrastructure dans ce pays.
Avant de partir de Tokyo, Abe avait fait remarquer qu’il était le premier chef de gouvernement japonais à visiter le Bangladesh en 14 ans, et le Sri Lanka en 24 ans, deux pays qui, a-t-il a jouté, « ont une influence croissante dans les domaines économique et politique ». La Japon avait été le premier pays industrialisé à reconnaître l’indépendance du Bangladesh, à peine deux mois après sa déclaration d’indépendance à l’égard du Pakistan en 1971, et est aujourd’hui son plus généreux bienfaiteur, entre tous les pays du monde.
Tokyo avait annoncé en mai dernier son intention d’aider Dacca, tant en termes techniques que financiers, dans la construction de cinq mégaprojets dont un barrage sur le Gange, un tunnel multimodal ainsi qu’un pont ferroviaire sous et sur le fleuve Jamuna [le Brahmapoutre prend le nom Jamuna à son entrée au Bangladesh], qui scinde encore aujourd’hui le pays en deux parties pratiquement isolées l’une de l’autre.
Une centrale électrique au charbon ultra-supercritique [1] doit être également construite près de Matarbari, afin d’atténuer les problèmes d’approvisionnement énergétique chroniques dont souffre le pays. Un accord a été conclu pour une coopération intensifiée dans le nucléaire civil, afin de développer les ressources humaines nécessaires au développement du savoir-faire dans ce domaine.
Tandis que la Chine a décidé d’inclure le Bangladesh dans ses projets de Ceinture économique de la soie et de Route maritime de la soie du 21e siècle, le Japon entend développer son concept de Ceinture de croissance économique de la baie du Bengale (Bay-of-Bengal Industrial Growth Belt ou « BIG-B »), afin de relier les zones de développement entourant les océans Indien et Pacifique.
La dynamique inaugurée par la Chine et les BRICS semble ainsi être en voie de se répandre au Japon, piégé depuis presque trois décennies dans une stagnation économique héritée du consensus de Washington (OMC-FMI-Banque mondiale).
Quel rôle à venir pour le Japon ?
En septembre 1990, dans le contexte de la chute du Mur de Berlin, le gouvernement japonais avait officiellement endossé la proposition du Mitsubishi Research Institute pour la création d’un Fonds global pour l’infrastructure (GIF) destiné à financer une série de grands projets un peu partout dans le monde : un Canal traversant l’isthme de Kra, un second canal de Panama, ainsi que plusieurs autres projets en Égypte, en Afrique centrale, en Amérique du Sud et même en Russie.
Ce fonds devait être approvisionné par les grandes puissances industrielles ainsi que les pays producteurs de pétrole, à hauteur de 13 milliards de dollars sur une base annuelle.
Dans une entrevue au quotidien Japan Times, le directeur pour la recherche du GIF, Norio Yamamoto, avait déclaré à l’époque :
Les macro-projets devraient être construits sur le mode d’un programme à marche forcée, comme le programme Apollo des années soixante aux Etats-Unis.
Le quotidien japonais poursuivait : « Yamamoto a déclaré que le GIF devrait être indépendant des organisations internationales existantes, telles que les Nations Unies et la Banque mondiale, car ces institutions sont devenues le lieu de conflits internationaux et ne sont pas adaptées à la philosophie du GIF. »
Si la chute du mur et l’effondrement de l’Union soviétique constituait alors une ouverture sans précédent pour la mise en œuvre d’un tel programme à l’échelle mondiale, les événements conduisant à la première du guerre du golfe (en janvier 1991) allaient vite briser cette élan pour le progrès et favoriser l’émergence de l’ordre mondial souhaité par Margaret Thatcher et George H.W. Bush. Le Japon se vit d’ailleurs obligé de contribuer un total de 14 milliards de dollars à l’effort de guerre américain en Irak.
Autre problème qui contribua au déraillement de ce vaste programme d’infrastructure : l’éclatement en 1990 de l’immense bulle financière et immobilière japonaise, conséquence directe des accords de l’Hôtel Plaza de New York imposés au Japon sous l’égide du G7 en 1985, et visant à forcer une surévaluation du yen par rapport au dollar américain. Les États-Unis souhaitaient rétablir leur balance commerciale déficitaire à l’égard du Japon, accusé d’être responsable des effets néfastes de leur propre politique de désindustrialisation.
A partir des années 1990, cette « décennie perdue » associée aux nombreuses mesures monétaristes et d’austérité budgétaire, le pays a assisté à un retour du national-impérialisme. Mais il semble que certaines élites japonaises ont finalement décidé de raviver la vision économique prônée au cours des années 1980 par le Mitsubishi Research Institute.
[1] Les centrales supercritiques (SC) et ultra-supercritiques (USC) opèrent à des températures et des pressions supérieures au point critique de l’eau, c.-à.-d. au-delà de la température et de la pression auxquelles les phases liquide et gazeuse de l’eau coexistent en équilibre. A ce niveau-là, il n’y a plus de différence entre la vapeur d’eau et l’eau liquide et cela se traduit par des gains en efficacité, laquelle se situe au-dessus de 45 %. Ces centrales demandent donc moins de charbon par mégawatt-heure, ce qui veut dire moins d’émissions (notamment de dioxyde de carbone et de mercure), une plus grande efficacité et des coûts moins élevés par mégawatt.
Un message, un commentaire ?