Occulté par le débat passionné du « mariage pour tous », le projet de loi de « régulation et de séparation des activités bancaires » a été débattu la semaine dernière dans le vide de l’Assemblée nationale. Ce projet a été voté hier en première lecture par les partis et leurs tactiques.
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- Rangs clairsemés à l’Assemblée nationale au moment de discuter de la scission stricte des banques (séance du mercredi 13 février 2013).
Clairement, ce qui pourrait être la mise à l’écart de la prédation financière de notre économie, est une réforme ne réformant rien. La filialisation des activités jugées « non utiles à l’économie », proposée par le projet de loi du ministre de l’Economie Pierre Moscovici, ne sépare rien. Car, comme son nom l’indique, « filiale » implique un lien de filiation, lequel sera utilisé en cas de troubles pour obtenir des renflouements de la part de l’Etat, en retenant en otage les dépôts des citoyens. Au contraire, le Glass-Steagall Act, imposé à Wall Street en 1933 par Franklin D. Roosevelt, empêche tout conflit d’intérêts et tout risque de chantage en interdisant qu’un même établissement mène des activités financières en même temps que de dépôt et crédit. En plus d’interdire toute confusion au sein de la même banque, il interdit les relations entre banques d’activités différentes.
Le Glass-Steagall Act, c’est aujourd’hui l’éléphant au milieu du salon : l’urgente mesure à prendre. Alors, pour rendre claires les intentions de ceux qui cherchent à le cacher sous le tapis et empêcher les timides défenseurs de cette option de garder le silence, nous tenons à vous faire part des débats de l’Assemblée autour de cet animal.
Malgré leur manque total de combativité, quelques députés ont toutefois déposé à l’Assemblée trois amendements pour modifier le texte en remplaçant la filialisation par une séparation intégrale. Leurs auteurs en sont : le groupe écologiste, mené par Mme Eva Sas et M. Eric Alauzet ; trois chevènementistes, M. Jean-Luc Laurent, Mme Marie-Françoise Bechtel et M. Christian Hutin ; et un socialiste, M. Jean Launay.
À l’introduction de son projet de loi, le 12 février, au lendemain de ses déclarations dans Le Monde (voir encadré), Moscovici trouva de nouveaux mensonges à proférer :
La séparation des établissements faisait, et fait encore l’objet d’importantes attentes chez certains d’entre vous. (...) Ce n’est pas par compromission ou à la suite de je ne sais quelle intervention que ma main a tremblé ; ce n’était simplement pas ma conviction. (...) D’abord, aucun type de banque n’a été épargné par la crise. Des banques d’investissement comme des banques commerciales ont dû être sauvées, alors que nos banques universelles, combinant banques de dépôt et banques d’investissement, ont plutôt mieux résisté.
Mais Monsieur le ministre, si les banques universelles ont mieux résisté, c’est grâce à nous tous ! En 2008, ce sont 320 milliards d’euros sous forme de garanties et 40 milliards de recapitalisation qui ont été injectés par la France, pardonnant la bêtise de ces banques.
Après cela, certains ne purent faire autrement que de faire état de leurs doutes, même si ce devait être dit à reculons :
Eric Alauzet (EELV) : « Quelle sera l’efficacité de cette loi ? Nous mettra-t-elle à l’abri des dangers ? (...) Alors que la séparation apparaissait comme la solution la plus naturelle, alors qu’elle venait spontanément à l’esprit et semblait à la fois plus évidente et plus efficace, puisant ses références dans le Glass-Steagall Act du début du siècle précédent, c’est la filialisation qui a été retenue. (...) un doute subsiste. » Nicolas Sansu, pour le Front de gauche, soutint une séparation « claire et effective entre banques commerciales et banques de marché » tout en assurant que « nul ne fait de procès d’intention quant à la volonté du gouvernement ».
D’autres, moins tenus par une prudence suspecte, furent plus clairs :
Pierre Lellouche (UMP) : (...) Monsieur le ministre (...) je vous cite : « Si j’avais été convaincu qu’il fallait un Glass-Steagall Act français, je l’aurais fait » (...) Vous ajoutez de façon surprenante et au mépris des faits : « La crise l’a démontré, la séparation n’est pas une garantie contre une intervention de l’État auprès des banques. » Et de conclure : « Aucune formation politique, aucun syndicat ne la voulait. J’assume ce choix. »
(...) Je vais vous faire une confidence, Monsieur le ministre : lorsque j’étais à Bercy, au milieu de cette crise, à un poste certes moins éminent que le vôtre, j’avais proposé au gouvernement et au président de la République de l’époque d’introduire dans notre droit une loi Glass-Steagall à la française. Immédiatement, je me suis vu opposer par les milieux concernés l’argumentaire que vous développez aujourd’hui.
Mais oui également, et c’est sur ce point que je ne partage pas votre avis, ni celui d’un certain nombre de mes éminents collègues de l’UMP, seule la séparation totale entre les activités de dépôt et les activités de marché, par essence spéculatives, est susceptible de protéger la collectivité et l’économie française (...).
(...) votre projet (...) ne change fondamentalement rien à la maladie du capitalisme-casino, ni en termes nationaux ni en termes internationaux.
Même si la majorité des députés, de gauche comme de droite, eurent la complaisance de soutenir le jeu du ministre, le Glass-Steagall, cet éléphant qui en irrite plus d’un, s’entêtera à rester dans cette assemblée. Le lendemain, Moscovici ouvrit alors la discussion, gêné par une toux qu’il n’avait pas la veille :
Ayant salué les présidents et les rapporteurs, je veux répondre rapidement aux autres orateurs et revenir un moment sur le sujet de la séparation des activités et sur la référence, plus ou moins explicite, au Glass-Steagall Act. (...) Il suffit d’examiner la liste des institutions, banques ou autres, qui ont failli pendant la crise. Aucune de ces faillites, à ma connaissance, n’aurait pu être évitée par une séparation de type Glass-Steagall.
Ah ! si la question est d’empêcher la faillite de spéculateurs, alors là, Monsieur le ministre, en effet, c’est différent. Car c’est vrai, et c’est justement le but du Glass-Steagall, les joueurs d’argent auraient tout perdu et cela, grâce à une complète séparation entre les deux types de banques, sans remettre en cause le reste du monde. Ne pas abandonner les financiers à leur folie, votre choix Monsieur le Ministre, c’est tenir fermement à la crise !
Grossièreté que laissèrent filer les 540 députés absents (sur 577) et que ceux présents ne dénoncèrent pas. C’était là une scène affligeante que de voir la quasi-totalité des « énervés » de la gauche de la gauche absents, ou alors délavés, pour régler son compte au chantage de la finance.
Pour défendre leurs amendements, dont le but était de remplacer la filialisation par la scission stricte, Jean-luc Laurent (chevènementiste, groupe socialiste) se contenta d’expliquer sommairement le sien et Éric Alauzet définit le but du sien comme étant d’ « assurer un atterrissage en douceur et proposer un sas de décompression à celles et ceux qui auraient souhaité une séparation plus forte ».
Moscovici n’a pas eu besoin d’argumenter davantage. En revanche, c’est un député UMP, Julien Aubert, qui tint à rallier la proposition :
Une fois n’est pas coutume, je suis d’accord avec un amendement présenté par un membre de la majorité. Certes, mon opinion n’est pas majoritaire au sein du groupe UMP. Je considère toutefois que cet amendement est très important. (...) il serait vraiment courageux de séparer les activités de banque de dépôt des activités de banque d’investissement. (...) Le principe de séparation veut bien dire ce qu’il veut dire : séparer, cela veut dire couper tout lien. Or, en l’occurrence, le lien demeure !
Le simulacre de réforme bancaire sachant rassembler au-delà des partis, différents députés se levèrent contre ces amendements. Après des échanges d’eau tiède en ralliement à Monsieur le ministre, Charles de Courson (UDI – centre) préféra la jouer franc-jeu :
Au fond, (...) vous êtes des rooseveltiens : vous voulez revenir à la théorie de Roosevelt, c’est-à-dire séparer les banques de dépôt et les banques d’affaires. Mais (...) la crise a-t-elle été déclenchée par des banques mêlant activités de banques de dépôt et de banques d’affaires ? Absolument pas ! (…) Pour vous, il faut revenir à une séparation inspirée du Glass-Steagall Act de 1933. Je suis désolé : les temps ont changé (...).
Les parlementaires ont raté une grande occasion en laissant ces sophismes être déclamés sans réelle opposition. Après le rejet de ces amendements, démarrèrent les discussions : contrôle des relations avec les paradis fiscaux, contrôle de la spéculation pour compte propre, contrôle de la spéculation à haute-fréquence ou sur l’alimentaire. Des heures durant, dans les méandres de la technique, les députés palabrèrent, contraints à l’incertitude puisque (justement !) l’option tranchante, de rompre tout lien possible entre la base dépôt-crédit et les marchés, avait été rejetée.
Ceci fut la première lecture du texte à l’Assemblée nationale. Suivra maintenant le Sénat et, si le texte y est modifié, le débat reviendra à l’Assemblée. L’éléphant ne risque que de casser plus de porcelaine et, surtout, les opposants au Glass-Steagall (comme ceux qui le défendent timidement) devront rapidement s’apercevoir qu’il est impossible à cet animal de quitter les bancs du Parlement tant qu’il ne sera pas adopté !
Le honteux rejet des amendements pour couper les banques en 2
Ce qu’ils ont dit, ce que S&P leur répond
Si j’avais été convaincu qu’il fallait un Glass-Steagall Act français, je l’aurais fait. Mais la crise l’a démontré, la séparation n’est pas une garantie contre une intervention de l’Etat auprès des banques. Aucune formation politique, aucun syndicat ne la voulait.
Pierre Moscovici - Réforme bancaire : le politique au cœur du système - Le Monde – 11 février 2013
Si, si, il y a nous ! Et, même s’ils n’en font pas suffisamment leur combat, le Glass-Steagall est également soutenu par le conseil fédéral EELV (motion votée le 20 janvier 2013 en faveur du Glass-Steagall Act), le Front de Gauche, le MJS, l’Union syndicale Solidaires, ATTAC et bien d’autres encore.
Le Glass-Steagall Act, mis en place aux Etats-Unis en 1933 et abrogé en 1999, n’est pas du tout le meilleur moyen de sécuriser le système financier. C’est la raison pour laquelle aucun législateur au monde, ni aux Etats-Unis, ni en Grande-Bretagne, ni dans l’Union européenne, ni en France n’envisage une telle solution.
Réforme bancaire : mythes ou réalité – Fédération bancaire française – janvier 2013
Faux, des législateurs se battent pour aux États-Unis, en Italie, Suisse, Suède, Belgique et Islande. (Voir notre note : Tour du monde des initiatives législatives pour une séparation stricte).
Il y a eu quelques crises d’acné. On a appelé à la sagesse. Il n’y aura pas de psychodrame. Les amendements acceptés resteront cosmétiques. On n’a pas la volonté de charger la barque des banques.
Thierry Mandon, député PS (suite au travail de la commission des Finances) - Le Monde - 8 février 2013
Au vu des déclarations précédentes, les maquilleurs maquillent large.
# petite souris
• 21/02/2013 - 11:13
Quel courage !!!!
quel exemple de démocratie !
quel foutage de gueule !
....
les députés sont payés pour voter les loi et sont absents ....
dans une entreprise privée ils seraient virés pour faute grave et abandon de poste
..........
par leur attitude ils offrent à la France une politique ultra libérale catastrophique
ils seront donc responsables devant le peuple ...........
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# Etienne
• 21/02/2013 - 09:37
Étonnante réaction de certain(e)s député(e)s qui sont hésitant(e)s à lever la main pour voter l’amendement... On se croirait presque dans un régime soviétique, si tu votes pour, tu pars au goulag ! Le régime de la terreur.
Je vais interroger ma députée !
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