26 septembre 2008 (Nouvelle Solidarité) — Dans un point de vue, publié dans Le Monde du 25 septembre, Ludovic Desmedt, maître de conférences à l’université de Bourgogne, nous aide à prendre un peu de recul devant la « finance folle » britannique qui vient de plonger la planète dans le chaos.
Partant du fait que Christian Walter avait, avec raison, souligné dans les colonnes du quotidien « que les financiers qui s’appuyaient sur des modèles mathématiques pour tenter de calibrer les mouvements boursiers ressemblaient aux savants vivant dans leur île volante de Laputa », délicieusement décrit par Jonathan Swift, l’auteur nous fait découvrir ceux qui, outre-manche, ont mobilisé imagination et ironie pour se moquer de cette folie.
« L’analogie est d’autant plus pertinente que lorsque Swift débute la rédaction des Voyages de Gulliver, la Grande-Bretagne vit le gonflement puis l’éclatement de la "bulle" des mers du Sud »
« Créée en 1711, la South Sea Company (SSC) est impliquée dans le commerce colonial (esclaves, principalement) et gérée de manière assez sage jusqu’en 1719. L’année suivante, les Communes et les Lords acceptent la conversion de la dette publique en actions. La compagnie fait dès lors l’objet d’une spéculation massive : on évoque une "bulle" (le terme "bubble" désignant toute tromperie et, par extension, les entreprises malsaines ou spéculatives). »
« A Londres, de nombreuses sociétés naissent, profitant de l’euphorie qui gagne les rues de la ville : on cherche à lever des sommes pour le commerce des cheveux, pour la confection de chapeaux, pour extraire de l’argent à partir du plomb... Devant cette concurrence, le cours des titres de la SSC, après avoir été décuplé (de 128 livres à 1 050 livres), s’effondre. La crise entraîne de fortes pertes pour une grande partie des commerçants britanniques : le crédit s’évapore, les banqueroutes se multiplient. Swift, ayant investi 1 000 livres dans la compagnie, fait paraître son poème La Bulle. »
« Il y compare l’épisode financier à l’ascension puis à la chute d’Icare : les "ailes de papier", après avoir permis l’élévation, ont fini par conduire au fond des océans les victimes de directeurs peu scrupuleux. Selon Swift, chaque épargnant rappelle Icare, anéanti par une chimère. Son contemporain Daniel Defoe, qui suit avec attention les affaires politico-financières dans les revues qu’il rédige, fait paraître en 1722 Le Journal de l’année de la peste. On y trouve une métaphore réussie des affres dans lesquelles se débattent alors les Britanniques.
« Le narrateur, marchand engagé dans le commerce colonial, évoque une société malade. L’affichage sur les murs de la capitale des tables de mortalité, tel celui des cours de Bourse, quantifie l’importance des désordres. La confiance a vacillé. Defoe entraîne son lecteur dans un monde spéculaire où les apparences sont trompeuses. Le parallèle entre les germes pestilentiels et les fonds spéculatifs est patent. Pour Defoe, le crédit, qui a le pouvoir de transformer le "rien" en "tout", repose sur la confiance. Dans cette société infectée, le medium qui relie peut devenir fatal : "Si l’on achetait une pièce de viande au marché, on ne voulait pas la prendre des mains du boucher, mais on la décrochait soi-même. De son côté, le boucher se refusait à toucher l’argent et le faisait déposer dans un pot rempli de vinaigre, préparé à cet effet." La toxicité de certaines transactions provoque déjà le doute. »
Pour conclure, disons qu’il est grand temps que quelqu’un explique au Président Bush, au Congrès américain et à Paulson que la somme de 700 milliards est quelque peu excessive pour un simple pot de vinaigre…
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