Une nouvelle crise irakienne fournira-t-elle l’occasion d’une « surprise d’octobre » pour l’automne ? C’est une question qui préoccupe actuellement les médias américains. La remise sur pied par les Nations unies d’une nouvelle équipe d’inspection des armements (United Nations Monitoring, Verification, and Inspection Commission, UNMOVIC) pourrait en être le détonateur opportun, puisque le gouvernement de Bagdad a annoncé à plusieurs reprises qu’il n’autoriserait pas l’entrée de cette commission dans le pays, tout en exigeant la levée immédiate des sanctions.
La tension risque de monter avec les deux principaux candidats présidentiels américains, Al Gore et George W. Bush, qui font de la surenchère pour savoir qui sera « assez dur pour achever le travail » commencé par George Bush Sr. en 1990.
De son côté, le Pentagone a laissé filtrer des informations, publiées dans le Washington Post du 1er septembre, selon lesquelles la batterie de missiles antimissiles Patriot stationnée en Allemagne avait été placée en état d’alerte, en vue d’un déploiement en Israël en cas de « menace possible ou perçue contre Israël de la part de l’Irak ». Cet article du Washington Post a pris tout le monde par surprise, y compris les Israéliens eux-mêmes. Une semaine auparavant, le bureau du renseignement allemand (BND) avait publié un rapport dans lequel il révélait avoir « découvert » une usine irakienne produisant des missiles « à courte et moyenne portées ». On ne tarda pas à établir que l’« usine » en question est connue depuis de nombreuses années des inspecteurs des Nations unies et qu’elle opère conformément aux règlementations du cessez-le-feu de 1991, qui autorise la production de fusées d’une portée de moins de 150 km.
Que le Pentagone s’inquiète soudainement d’une « menace imminente de missiles irakiens » est interprété par certains comme une tentative d’Al Gore d’améliorer ses chances électorales. Le quotidien israélien Ha’aretz, par exemple, vient de publier un commentaire intitulé « Qui va être surpris en octobre ? ». Citant des discussions entendues à Washington entre divers responsables de l’armée, du renseignement et du monde politique à propos de l’Irak, l’auteur de l’article note, à propos du ton extrêmement dur adopté par Gore et W. Bush vis-à-vis de l’Irak, que le premier pousserait le président Clinton à provoquer une crise irakienne afin de renforcer la position de son vice-président dans la course électorale.
A propos de l’article de Ha’aretz, une source du renseignement israélien a confié à l’EIR que Gore signalait en effet, à travers l’article du Washington Post, « son intention de préparer une surprise d’octobre ». Toutefois, toujours selon cette source, de hauts fonctionnaires au département de la Défense et au département d’Etat, plutôt favorables à Bush, ne sont pas enthousiasmés à l’idée de donner un tel coup de pouce au vice-président. En tout état de cause, le vice-président actuel et son équipe ne pourront pas lancer une grande opération militaire contre l’Irak sans prétexte crédible, par exemple la question de l’UNMOVIC ou une provocation à la frontière irako-koweitienne.
Quant aux Israëliens, s’ils sont menacés, personne ne s’est soucié d’en informer leurs dirigeants. Le Premier ministre Ehoud Barak, interrogé sur le possible déploiement de Patriot, a déclaré : « Je ne suis plus sûr que nous devions vraiment nous en inquiéter et je ne sais pas si cette batterie de Patriot est vraiment nécessaire . »
En réalité, dans cette région, la situation politique et militaire sur le terrain ne permettrait pas aux forces anglo-américaines de faire davantage que de lancer une répétition de la campagne de bombardements aériens de décembre 1998. Cependant, une telle opération unilatérale accentuerait encore les divisions au sein du Conseil de sécurité des Nations unies, poussant la Russie, la Chine et la France à muliplier les initiatives indépendantes en vue d’une solution diplomatique avec Bagdad.
En outre, vu la situation des négociations palestino-israéliennes, une nouvelle opération contre l’Irak déclencherait une révolte populaire dans les pays arabes, surtout parmi les parties prenantes du processus de paix, comme les territoires palestiniens, la Jordanie et l’Egypte. Dans de telles circonstances, tout le processus se retrouverait dans l’impasse. La question est de savoir si l’administration Clinton tentera de « créer la surprise » en octobre en réalisant une percée au niveau de la paix ou si elle sera entraînée dans un conflit militaire sanglant pour tenter de doper la campagne présidentielle de Gore.