Le Guardian de Londres a publié sur son site de plus amples citations d’un discours prononcé le 6 septembre devant une trentaine de journalistes occidentaux et d’experts de la Russie par Vladimir Poutine. Durant la Guerre froide, dit-il, « les deux blocs étaient à couteaux tirés. (...) A l’époque où les Etats-Unis envahirent le Vietnam et la Russie l’Afghanistan, nous avons laissé trop de génies s’échapper de la bouteille (...) et le terrorisme international était du nombre. » Les armes nucléaires l’étaient aussi, mais elles n’ont jamais été utilisées, contrairement à l’arme du terrorisme qui a été employée « contre l’URSS par des groupes militants en Afghanistan, et nous savons tous qui se cachait derrière ces groupes. (...) Je pense qu’il subsiste encore quelque part, parmi les cercles militaires et ceux des services secrets [occidentaux], des tendances à combattre l’ancien ennemi commun, y compris au moyen de la terreur. Aussi, dans divers cercles politiques, (...) certains auraient l’idée d’utiliser cet instrument pour ébranler la Russie et la déchirer de l’intérieur afin qu’elle se préoccupe davantage de ses problèmes internes et ne regarde plus au-delà de ses propres frontières, mais ces gens-là font un mauvais calcul. (...) Nous avons des faits, dit Poutine, et des faits probants, et nous avons même donné à nos partenaires [occidentaux] les noms de certains individus qui, en tant que représentants officiels des services de sécurité de ces pays, maintiennent encore aujourd’hui le contact avec des gens qui nous combattent par la force des armes. »
Il a demandé si ceux qui font ces mauvais calculs « ont réfléchi aux répercussions que cela pourrait avoir si la Russie était éliminée, non seulement pour le monde entier, mais pour eux personnellement ? » La Russie ne permettrait en aucun cas qu’une telle « guerre secrète » réussisse.
Poutine renforce le gouvernement central
Le 13 septembre, le président Poutine a annoncé d’importants changements dans les institutions politiques de la Fédération russe qui auront pour effet de renforcer de manière substantielle le pouvoir de l’exécutif central et du Président. Les gouverneurs de région ne seront plus élus mais nommés par le Président et simplement confirmés dans leurs fonctions par les parlements régionaux. En outre, le système selon lequel environ la moitié des députés sont choisis par élection directe sera aboli ; tous devront dorénavant se présenter sur la liste d’un parti. Il ne fait aucun doute que les propositions de réforme du président Poutine seront adoptées, car son parti dispose d’une majorité des deux-tiers à la Douma. Parallèlement, Poutine a lancé la réorganisation de tout l’appareil de sécurité, et dans cette optique, Serguei Narichkine, ancien haut fonctionnaire du KGB à Saint-Pétersbourg, a été nommé nouveau chef de l’état-major au Kremlin, avec le rang de ministre.
La réaction internationale ne s’est pas fait attendre : le chœur des critiques, dirigé par Colin Powell et le président Bush lui-même et comprenant le Commissaire européen pour les Affaires étrangères, Chris Patten, et le président du Conseil de l’Europe, M. Bot (qui est également le ministre néerlandais des Affaires étrangères), a estimé que les mesures de Poutine tendent à « affaiblir la démocratie » en Russie. Les dirigeants russes ne s’en sont pas montrés gênés outre-mesure, le ministre des Affaires étrangères Lavrov faisant remarquer que la Russie n’acceptait aucune ingérence dans ses affaires intérieures.
Le 16 septembre, l’ambassadeur britannique était convoqué au ministère russe des Affaires étrangères où on lui signifia que la Grande-Bretagne était priée de « clarifier sans plus tarder son attitude vis-à-vis du séparatisme tchétchène ». Puisque les représentants de ce mouvement sont hébergés en Grande-Bretagne à titre de réfugiés politiques, le gouvernement britannique a l’entière responsabilité de leurs actes. Le ministère profita de l’occasion pour rappeler les activités de l’« oligarque russe » Boris Berezovski qui, depuis son exil à Londres, jouit de la protection des services britanniques et maintient des liens tout à fait douteux avec la rébellion tchétchène.
Des experts russes donnent leur évaluation
Au cours de discussions avec des journalistes de l’EIR, des experts européens de la Russie leur ont confié que, depuis l’attentat sanglant de Beslan, les dirigeants russes se croient confrontés à une triple attaque, visant : 1) la désintégration territoriale du pays, à commencer par la sécession de la Tchétchénie et même, plus tard, celle de la Sibérie ; 2) la réduction, voire l’élimination, du statut de grande puissance nucléaire de la Russie ; 3) le sabotage des relations spéciales de la Russie avec l’Europe occidentale, notamment la France et l’Allemagne. Enfin, ces experts ont fait remarquer que Poutine encourt un réel danger d’assassinat, ne pouvant provenir que d’éléments appartenant à l’appareil de sécurité.
Toujours selon ces experts, avec les nouvelles mesures de centralisation, le président russe s’attaque aux « fiefs régionaux » qui se sont constitués au cours des années 90 et représentent un « dangereux mélange d’intérêts commerciaux douteux, de structures carrément mafieuses et d’éléments corrompus dans l’appareil de sécurité ». Poutine sait que les mesures administratives et la redistribution des fonds publics ne suffiront pas à stabiliser la Russie. Il faut, d’autre part, « redéfinir l’idée de l’Etat russe ». Par conséquent, à l’Académie des Sciences et dans différents groupes de réflexion, on travaille sur une articulation de cette idée en s’appuyant sur des sources spirituelles du XIXème siècle. Ces experts ont mentionné dans ce contexte l’œuvre de grands poètes comme Gogol et Lermontov et de philosophes comme Soloviov et Berdiaiev. Il semble qu’au Kremlin, on ait compris que sans faire appel à la question spirituelle, les solutions administratives ne pourraient pas marcher.
Toutefois, le défi le plus important que Poutine doive relever est celui du développement économique. Sur les plans stratégique et économique, le sort de la Russie est lié à celui de l’Europe : celle-ci a besoin des exportations énergétiques russes, tandis que la Russie a besoin d’investissements européens dans l’industrie et la technologie. De ce point de vue, le récent sommet à Sotchi, entre MM. Poutine, Schröder et Chirac était d’une grande importance.