La présidente de notre parti frère en Allemagne, le Büso, rappelle ici à l’Europe que l’occasion de remettre la mondialisation dans sa bouteille est là, et qu’elle ne s’offrira pas à nous éternellement
Par Helga Zepp-LaRouche
Le 6 juillet 2007
Le « sommet du homard », dans la villa d’été de la famille Bush à Kennebunkport (Maine), a débouché sur un développement potentiellement positif de la situation mondiale. En présence de l’ancien président George Bush père, Vladimir Poutine a proposé à l’actuel Président des Etats-Unis de changer la nature des relations entre les deux pays, rejetant l’escalade des tensions en faveur d’une coopération stratégique de fond.
Lors d’une conférence de presse conjointe, le Président russe a précisé la proposition qu’il avait faite au sommet du G8 à Heiligendamm début juin, consistant à utiliser la station-radar russe de Gabala, en Azerbaïdjan, pour un système de défense anti-missiles commun, au lieu d’installer des éléments du bouclier anti-missiles américain en Pologne et en République tchèque. Comme éléments nouveaux, il a proposé de moderniser la station de Gabala, d’utiliser le nouveau radar en chantier dans le sud de la Russie, de créer des centres d’échange d’informations à Bruxelles et Moscou, et de placer l’ensemble de la coopération sous l’autorité du Conseil OTAN-Fédération russe.
Lyndon LaRouche a salué cette initiative. Certes, on n’a aucune garantie de succès, mais si la bonne combinaison de dirigeants démocrates et républicains se met d’accord sur la manière de saisir l’occasion, des perspectives prometteuses s’ouvriront. Vladimir Poutine a exprimé ainsi l’ampleur de ce potentiel : « Quant à l’avenir, comme je l’ai mentionné, nous discutons de la possibilité de hisser nos relations à un niveau complètement nouveau, qui impliquerait un dialogue très privé et, disons, délicat sur toutes les questions relatives à la sécurité internationale, y compris la défense anti-missiles. (...) Peu à peu, nos relations revêtiraient la nature d’un partenariat stratégique. On améliorerait notre niveau d’interaction dans le domaine de la sécurité internationale, menant ainsi à une meilleure interaction et coopération politiques, dont l’effet serait aussi, bien sûr, évident dans nos relations et notre situation économiques. En gros, on peut dire que les cartes ont été distribuées et que nous sommes prêts à jouer. J’ose espérer que nous jouerons le même jeu. »
Fidèles à eux-mêmes, les grands médias occidentaux n’ont pratiquement pas répercuté la proposition retentissante du Président russe. Par contre, ils ont carrément déformé la réponse du vice-Premier ministre Serguei Ivanov à des journalistes qui l’interrogeaient sur le statut des relations russo-américaines dans le cadre du déploiement de l’ABM américain en Pologne et en République tchèque, se bornant à dire que ses propos constituaient une menace pour l’Occident. Ils faisaient allusion à son affirmation selon laquelle, en cas de rejet de l’offre, la Russie réagirait avec des mesures asymétriques et que, dans tous les cas, elle garantirait à 100 % sa sécurité nationale.
Ces mêmes médias ont cependant omis de mentionner une affirmation bien plus significative de Serguei Ivanov, à savoir que les propositions russes marquent un tournant fondamental dans les relations internationales et pourraient mettre fin au discours sur une nouvelle Guerre froide. « Si nos propositions sont adoptées, la nécessité pour la Russie de placer de nouveaux missiles dans la partie occidentale du pays, notamment dans la région de Kaliningrad, disparaîtra. » D’autres dirigeants russes ont également souligné la chance historique que recèle cette proposition, qui exige une réponse sans équivoque.
En effet, si le gouvernement américain répond favorablement, la situation stratégique s’améliorera considérablement. De son côté, Lyndon LaRouche a rappelé que la solution aux diverses crises existentielles dans lesquelles le monde se trouve plongé, réside dans une nouvelle qualité de coopération entre les Etats-Unis, la Russie, la Chine et l’Inde. Une telle coopération est nécessaire et tout aussi importante pour vaincre la crise financière actuelle que pour mettre fin aux conflits militaires qui ne cessent de s’étendre. Vladimir Poutine a fait le premier pas, à un niveau fondamental. Une réponse positive du président Bush est indispensable, c’est une chance stratégique qu’on ne peut pas se permettre de rater, si le monde veut en sortir sain et sauf.
Même si le Président américain n’a pas directement donné suite à la proposition de son homologue russe, le fait même que ce sommet ait pu se dérouler dans une atmosphère constructive est en grande partie dû à l’absence du vice-président Dick Cheney, soumis à un tir de barrage depuis la conférence internet de Lyndon LaRouche, le 21 juin. Selon des sources en marge de la réunion, George Bush père et Vladimir Poutine ont eu une discussion constructive sur le développement économique impressionnant de la Russie ces dernières années et l’implantation d’un réseau de petites et moyennes industries à travers le pays. Certains républicains de premier plan ont fait remarquer par la suite que ce sommet illustre encore plus clairement la nécessité de se débarrasser de Dick Cheney, qui fait tout pour éviter ce genre d’approche.
Clinton soutient l’IDS
Un bon indicateur du tournant stratégique qui se dessine a été fourni par l’ancien président américain Bill Clinton, quelques jours avant le sommet Bush-Poutine, lors d’un discours prononcé en Ukraine à la conférence annuelle de l’Organisation « Yalta European Strategy » (YES). Clinton a confirmé son engagement envers l’initiative de défense stratégique (IDS) que le président Reagan avait proposée le 23 mars 1983 à la Russie. Il a dit qu’il avait clairement indiqué au président Eltsine, ainsi qu’au président Poutine, sa volonté de partager ces technologies de défense avec la Russie et toutes les autres nations dès qu’elles seraient effectivement mises au point, afin de disposer d’un bouclier efficace, par exemple contre le terrorisme nucléaire. A la même occasion, Bill Clinton s’est prononcé fermement contre l’installation d’éléments du système anti-missiles américain traditionnel en Pologne et en République tchèque : d’une part, leur efficacité est tout à fait douteuse et d’autre part, toute cette affaire ne fait que créer une crise inutile avec la Russie.
Bill Clinton évoqua l’IDS et, par là même, un changement stratégique global des relations Est-Ouest. A l’époque, Ronald Reagan avait offert à la Russie non seulement la mise au point conjointe d’armes à rayon défensives basées sur de nouveaux principes physiques, qui rendraient obsolètes les armes nucléaires, mais aussi une aide pour l’application de ces nouvelles technologies dans le domaine civil. Tout le monde sait que Lyndon LaRouche est le père de la proposition d’IDS et qu’il avait mené des discussions officieuses pendant plus d’un an avec des représentants russes, pour le compte du gouvernement américain, avant que Ronald Reagan n’adopte officiellement l’IDS comme politique nationale. Il existait et il existe toujours, au sein du Parti républicain, une faction favorable à une telle coopération stratégique avec la Russie.
Des sources russes nous ont confié que l’invitation au sommet de Kennebunkport avait déjà été discutée le 25 avril, alors que les anciens présidents Bush et Clinton étaient à Moscou pour les funérailles de Boris Eltsine et avaient eu des entretiens intenses avec le chef de l’Etat russe. C’est justement à cette époque que se déroulait le dialogue entre Lyndon LaRouche et des scientifiques russes sur la réalisation du tunnel sous le détroit de Béring, comme moyen délibéré d’éviter l’affrontement. La conférence sur ce projet, prévoyant une liaison ferroviaire entre l’Alaska et la Russie et un tunnel de 100 kilomètres sous le détroit, s’est tenue le 24 avril à Moscou, alors que Poutine y consacrait des discussions au niveau de son cabinet. Le 27 avril, le Président russe annonçait la création d’un nouveau « groupe de travail » nommé « USA-Russie, un regard vers l’avenir », dont font partie, entre autres, Henry Kissinger et Evgueni Primakov.
Depuis ce sommet, une bataille politique féroce a certainement été menée au sein des deux grands partis américains pour déterminer quelle réponse donner à la proposition de Vladimir Poutine. En 1983, suite à l’initiative de Ronald Reagan, les adversaires du projet ont malheureusement réussi à s’imposer, au bout de quelques mois. Du côté soviétique, l’offre fut rejetée également. Officiellement, la réponse des Russes à LaRouche était que l’initiative serait plus avantageuse pour les Occidentaux que pour l’Union soviétique. En réalité, la faction Ogarkov, qui avait le dessus à l’époque, ne s’intéressait nullement à la dissolution des blocs, ce qui aurait été la conséquence ultime de l’IDS, mais nourrissait plutôt des plans offensifs, dont l’existence fut confirmée après l’effondrement de l’Allemagne de l’Est. LaRouche prévoyait alors l’effondrement économique de l’Union soviétique en l’espace de cinq ans, de par sa volonté de poursuivre la course aux armements stratégiques. Il fallut six ans, et non cinq, pour voir l’URSS se désintégrer, mais LaRouche avait raison sur le fond.
Une nouvelle donne
Que Vladimir Poutine offre aujourd’hui aux Etats-Unis une coopération stratégique dans l’esprit de l’IDS représente une chance immense pour le monde entier. Car le Président russe a clairement affirmé, à différentes reprises l’année dernière et cette année, son désir de fonder les relations russo-américaines sur la tradition de Franklin Roosevelt, et son soutien à un new deal non seulement pour la Russie, mais pour tous les pays. La discussion sur ce sujet est d’autant plus urgente que tous les indicateurs donnent un avis de tempête sur les marchés financiers internationaux. Même la presse financière, d’habitude si soucieuse de la « psychologie du marché », multiplie les mises en garde contre une crise systémique, que la faillite d’un seul hedge fund pourrait suffire à déclencher.
Le concept stratégique de Lyndon LaRouche, selon lequel seule une entente entre les Etats-Unis, la Russie, la Chine et l’Inde pour la mise en œuvre d’un nouveau système financier dans la tradition de Franklin Roosevelt - un nouveau Bretton Woods - permettrait de sortir de la crise, a trouvé un écho favorable non seulement en Russie, mais aussi chez certains dirigeants politiques. Dans d’autres pays du monde, les cercles dirigeants suivent de près ce processus de dialogue russo-américain.
Contrairement à ceux qui prétendent qu’il n’y a aucune alternative à la mondialisation, ou encore qu’il faille attendre que la « crise financière américaine » brise le pouvoir des Etats-Unis, il est tout à fait possible que l’ordre mondial se regroupe autour de ce concept des quatre nations dont parle LaRouche. Si ces quatre pays pouvaient s’accorder sur un nouveau système financier et un new deal, on chercherait alors en vain un pays qui ne soit heureux de rejoindre la nouvelle dynamique.
Car la tradition de Roosevelt renferme également sa vision d’un ordre mondial d’après-guerre, que sa mort prématurée l’empêcha malheureusement de réaliser : une ère libérée, enfin, du colonialisme. Cette promesse reposait à son tour sur la politique de John Quincy Adams et son idée selon laquelle l’ordre mondial doit être défini par une communauté de principe entre Etats-nations pleinement souverains, unis entre eux par de grands objectifs communs pour l’humanité.
Cette vision deviendrait-elle réalité - et le président Poutine y a déjà contribué de manière fondamentale - les pays européens pourraient alors se libérer à leur tour de l’étau du traité de Maastricht et du contrôle supranational exercé par l’Union européenne et œuvrer, de concert avec « l’Europe des patries » dont parlait de Gaulle, à instaurer un nouvel ordre mondial juste.
La proposition de Vladimir Poutine ouvre la chance d’un changement stratégique dans cette direction. Saisissons-la avant qu’elle ne disparaisse.