Comme nous le craignions depuis de nombreuses années, faute d’avoir changé de politique économique, la « thérapie » de choc du Fonds monétaire international s’est enfin invitée chez nous via le rapport remis par Michel Camdessus, le 19 octobre dernier, à Nicolas Sarkozy. Voici donc la France réduite au statut de pays en voie de développement et sommée, comme eux, d’accepter la destruction de son économie et de sa force de travail au profit des marchés financiers et des banques qui déterminent aujourd’hui la politique économique des nations.
Rappelons que ce rapport avait été commandé à l’ancien directeur général du FMI par Nicolas Sarkozy, lorsqu’il prit ses fonctions de ministre de l’Economie et des Finances. Elaboré par une vingtaine de personnalités parmi lesquelles de puissants intérêts financiers tels que la maison Lazard ou J. P. Morgan, des assureurs tel AXA, des économistes du MIT et des directeurs de l’Institut des études politiques, rien d’étonnant à ce que la mesure la plus marquante de ce rapport soit le blocage du SMIC ! Nous voici revenus au temps où le rapport Alain Minc, commandé par l’ancien patron de Nicolas Sarkozy, Edouard Balladur, rejetait la responsabilité des problèmes de l’économie française sur un SMIC trop élevé. Les recommandations de M. Camdessus répondent aussi à toutes les préoccupations exprimées en juillet dernier par le rapport annuel du FMI sur la France, qui plaçait en tête des problèmes de l’économie française, le « trop peu « de travail et le niveau trop élevé du salaire minimum.
Intitulé « Le sursaut, vers une nouvelle croissance pour la France », le ton du rapport est alarmiste. L’économie française est « en train de décrocher », vaticine Camdessus, et si on continue sur cette pente, les taux de croissance en 2011 ne seront plus que de 1,75. Au cœur des problèmes que l’ex-directeur du FMI identifie correctement, sans toutefois dénoncer leur cause dans la dérive libérale de l’économie de ces dernières années, le manque de travail en France comparé à d’autres pays. Le rapport constate que la part de la population active devant « porter » l’ensemble de l’économie française est très basse, à cause du chômage des jeunes (16 à 25 ans), qui atteint 24%, et des personnes au-delà de 50 ans, qui atteint près de 34%. Les 35 heures ont réduit encore le taux de travail.
Que faire ? Remettre tout le monde au travail, même au-delà de la retraite, mais à moindres frais. Pour faire face, le projet Camdessus reprend à son compte les propositions des rapports Virville, Marimbert et Blanchard, ayant pour but d’harmoniser le code du travail et le traitement du chômage en France avec les normes d’autres pays européens tels que la Grande-Bretagne, les Pays Bas et l’Allemagne. Elaboré par l’ancien directeur des relations sociales du tristement célèbre Renault Vilvorde, le rapport Virville préconise une déconstruction libérale du code de travail. Le rapport Marimbert, inspiré de la loi Hartz IV qui a provoqué le ras-le-bol des manifestations des lundis qui secouent depuis plus de deux mois la partie orientale de l’Allemagne, propose toute une réorganisation du fonctionnement de différents agences intervenant dans le traitement du chômage, ANPE, UNEDIC, dans le sens d’une coordination beaucoup plus grande entre organismes publics (ANPE) et patronat, pour contraindre les chômeurs au travail, dans n’importe quelles conditions.
Pour accroître le travail, le rapport préconise, pour ce qui est des seniors, de mettre fin à tous les programmes de mise en préretraite, et même la possibilité de cumuler, « sans restriction », la retraite avec un travail. Cette politique répond tout à fait aux préoccupations d’Alan Greenspan, directeur de la Réserve fédérale américaine qui, dans un récent discours, s’inquiétait du fait qu’on avait « trop promis » aux personnes âgées... Pour les jeunes, il préconise une sorte de « mise à l’étrier » professionnel en fin d’études. Pourquoi pas, par exemple, un emploi le dimanche, dans un secteur commercial libéralisé ?
Pour ce qui est de l’emploi, le rapport préconise un contrat de travail unique qui remplacerait les CDD et les CDI (contrats à durée déterminée et indéterminée). Sans sourciller, il prône une facilitation de la suppression d’emplois, assurant qu’un « service public de l’emploi », plus « généreux » mais aussi plus « incitatif », permettrait de mieux recaser les chômeurs. Toutes ces mesures amélioreraient la mobilité de l’emploi, dans une situation où, comme le reconnaît le rapport Marimbert, le chômage persistera suite aux délocalisations et aux transformations démographiques de la fin du baby boom. Signe des temps où la finance exige que les Etats abandonnent toutes leurs responsabilités, les droits sociaux ne seraient plus attachés à l’emploi, défendu comme un droit fondamental par le préambule de notre Constitution, mais comme des droits des personnes privées.
Mais là où les auteurs de ce rapport, souvent enrobé dans un double langage suintant d’hypocrisie, affichent la couleur, c’est au niveau du salaire. Le SMIC est « trop élevé ». Pour cela, disent-il, il conviendrait que l’évolution du SMIC ne soit plus accentuée par des « coups de pouce « . Rappelons que plus de 50% de nos compatriotes survivent avec l’équivalent d’un d’1,2 SMIC, que 33% d’entre eux n’ont pas pu partir en vacances en 2002, qu’un salaire minimum couvre à peine des coûts du logement en pleine expansion, et nous avons là tous les éléments d’un divorce total entre les élites au gouvernement et le peuple.
A un moment où la France viole d’année en année les critères d’endettement et de déficit public des traités de Maastricht et d’Amsterdam et où le gouvernement défend, auprès de ses partenaires européens, une interprétation souple des règles du pacte de stabilité, le rapport Camdessus propose, au contraire, à l’instar de Sarkozy, la création d’un « pacte de stabilité intérieur » qui associerait « collectivités locales et les organismes sociaux au programme de stabilité des finances publiques présenté à Bruxelles » !
Il faut aussi « dégraisser » la fonction publique, qui devrait descendre de 56,3% du PIB actuel en dessous de la barre de 50%, notamment en appliquant la décision de ne remplacer qu’un départ sur deux des fonctionnaires à la retraite. Parmi les autres économies possibles, ce rapport d’inspiration supranationale ne voit aucune objection à une réduction du « nombre d’échelons entre l’UE et la commune, en commençant par les services de l’Etat ».
Enfin, étant donné le faible coût des mots, le rapport se paye le luxe d’appeler en faveur d’une véritable économie de la connaissance avec de grands pôles de recherche regroupant universités, grandes écoles et départements de recherche et développement des entreprises, avec, à la clé, la privatisation des universités, devenues « financièrement autonomes ».
Bien que cette approche à la connaissance nous soit présentée comme l’Eldorado qui permettra de créer des emplois, la seule direction concrète indiquée semble être le secteur des services, en particulier, les services aux personnes âgées, véritable gisement d’emplois inexploité ! Au moment où nous devons penser à la nécessaire industrialisation de la planète et à la conquête de l’espace, le rapport Camdessus soutient qu’aucune société « ne doit craindre la tertiarisation de son économie ». Le plan Borloo prévoit la création de 250 000 emplois dans les services de proximité aux familles, et le droit du travail devra s’adapter et trouver des catégories adéquates pour ces formes de travail où un employé se déplacerait pour changer une ampoule chez d’une personne âgée. Pourquoi pas une bougie, au rythme où vont les retraites, menacées par les folies spéculatives des assureurs et des fonds de pension et par les politiques d’austérité des gouvernements ?
Le moment est arrivé pour que la France d’en bas, celle qui n’arrive plus à survivre que grâce au « hard discount », qui galère pour payer son loyer, qui roule dans des voitures âgées de plus de dix ans, se batte, avec les Argentins et toutes les autres victimes des politiques du FMI dans les pays en voie de développement, pour mettre fin à un système économique et financier qui porte aujourd’hui en lui les graines du fascisme, comme les nuées l’orage.
Par Christine Bierre