Par Portia Tarumbwa Strid et Susan White
Le 12 avril 2008 (Nouvelle Solidarité) — L’Empire britannique n’a jamais pardonné au Zimbabwe (ancienne Rhodésie du Sud, véritable joyau de la couronne) sa guerre de libération et son indépendance en 1980, pas plus qu’il n’a pardonné aux Etats-Unis la Révolution américaine...
Sous la direction de l’ex-combattant de la libération, Robert Mugabe, le Zimbabwe est devenu la bête noire de Londres, le pays qu’il fallait à tout prix mettre à genoux économiquement pour faire passer un message clair à tout pays africain qui aspirerait à une véritable indépendance vis-à-vis du Fonds monétaire international.
Ainsi, depuis près de dix ans, des sanctions internationales lui sont imposées pour le punir d’avoir mis en oeuvre une réforme agraire, mettant fin à la distribution inique des terres selon des critères racistes, vestige du colonialisme.
En 2000, après avoir attiré le Zimbabwe dans le piège d’une dette inextricable, le FMI ferma le robinet en suspendant tous ses prêts et lignes de crédit. Un an plus tard, la Chambre des représentants américaine, à la demande de la Grande-Bretagne, adopta une loi (Zimbabwe Democracy and Economic Recovery Act of 2001) interdisant aux institutions financières d’entretenir avec le Zimbabwe des relations autres que le recouvrement de la dette. Depuis, l’économie nationale en subit les conséquences.
Le taux d’inflation atteint désormais 100000%, les denrées de base font terriblement défaut et les infrastructures se sont totalement effondrées. L’espérance de vie est passée de 48 à 37 ans, et ce, en moins de dix ans ! Le pays a été sciemment sanctionné et isolé par la communauté internationale. La propagande qui veut que les paysans noirs soient incapables d’entretenir l’économie autrefois florissante du pays est un mythe raciste de la pire espèce.
Dans la période précédant les élections présidentielles et législatives, qui se tenaient pour la première fois le même jour, le 29 mars, la stratégie britannique consista à jouer sur le mécontentement provoqué par une situation économique désespérée pour renverser le gouvernement. En outre, les menaces pleuvaient, annonçant les représailles économiques susceptibles d’être appliquées au cas où Robert Mugabe l’emporterait à nouveau.
Le Premier ministre Gordon Brown ne l’a pas caché en promettant, de concert avec le FMI, un « cadeau » d’un milliard de livres si le président actuel était évincé — « cadeau » assorti des mêmes conditions que Mugabe avait rejetées il y a neuf ans, au nom de la souveraineté nationale. Et le Parlement britannique a enfoncé le clou en déclarant que « le Royaume Uni serait disposé à augmenter son soutien » si les Zimbabwéens parvenaient « à faire reconnaître leur élection comme démocratique », autrement dit si le MDC (Mouvement pour un changement démocratique) l’emportait.
Des pressions sont également exercées sur les dirigeants des pays voisins pour qu’ils désavouent le président Mugabe et endossent le dirigeant du MDC, Morgan Tsvangirai (surnommé là-bas Tsvang-son, en raison de sa fidélité à la Grande-Bretagne). Le président sud-africain Thabo Mbeki est particulièrement visé : même après une réunion de deux heures avec Gordon Brown à Londres, le 6 avril, il maintint cependant qu’il restait « satisfait du déroulement du scrutin ».
De son côté, une équipe d’observateurs de l’Union africaine, dirigée par l’ancien président de la Sierra Leone, Ahmed Tejan Kabbah, déclara dans un communiqué que les élections s’étaient déroulées « selon les règles, pacifiques et organisées de manière professionnelle ».
L’attentisme de Mbeki a été dénoncé par le chef du syndicat sud-africain Cosatu, Zwelinzima Vavi, qui l’accuse de laisser s’installer un climat d’incertitude conduisant à la violence, comme au Kenya ou au Rwanda. Et le nouveau président du Congrès national africain (ANC), Jacob Zuma, s’en est pris lui aussi au président zimbabwéen, revenant ainsi sur ses propos tenus il y a quelques semaines au Forum de Davos, où il critiqua l’ingérence de l’UE et du gouvernement américain dans les affaires intérieures du Zimbabwe. Depuis qu’il est devenu le rival de Mbeki au sein de l’ANC et le vainqueur probable des prochaines élections présidentielles, il s’est réaligné, ce que certains expliquent par ses relations avec Tokyo Sexwale, de l’ANC, un milliardaire proche de gros intérêts miniers britanniques, dont Anglo-American.
La parole à l’Empire
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L’élite britannique ne se donne même pas la peine de cacher son intention de se débarrasser de Robert Mugabe, quel que soit le verdict des urnes, et de recoloniser le pays. Avant même le décompte des voix du premier tour, le ministre d’Etat britannique aux Affaires étrangères, Malloch Brown, cité dans le Telegraph le 30 mars, déclarait que le parti d’opposition MDC serait vainqueur : « Il est fort probable que le président Mugabe ait perdu, malgré les tricheries pré-électorales massives. » Et si Mugabe devait gagner, dit-il, l’opposition descendra dans la rue pour provoquer des émeutes similaires à celles du Kenya. Menace à peine voilée !
Le 1er avril, le sommet des ministres des Affaires étrangères de l’UE exprimait son « inquiétude » au sujet des retards dans l’annonce des résultats et le représentant slovène alla jusqu’à dire : « Si Mugabe reste au pouvoir, il y aura un coup d’Etat. » (Ces ministres n’ont pourtant pas évoqué le fait que l’UE refuse à l’écrasante majorité de ses citoyens le droit à un référendum sur le Traité de Lisbonne…)
Le lendemain, le ministre britannique des Affaires étrangères, David Miliband, exprimait ouvertement les desseins coloniaux de son gouvernement : « J’espère de tout mon coeur que le nouveau gouvernement du Zimbabwe rejoindra le Commonwealth et que le Commonwealth l’accueillera à bras ouverts. »
Cependant, le plus scandaleux a été le débat du 3 avril à la Chambre des Lords, toujours bien avant l’annonce des résultats officiels, avec le baron Malloch Brown, qui a lui-même grandi en Rhodésie du Sud. Lorsque Lord Morris lui demanda si le gouvernement avait un plan B au cas où la « diplomatie douce » ne marcherait pas, il rétorqua : les jours du président Mugabe « sont comptés, son régime est fini. Nous débattons de la manière dont il prendra fin, pas de sa continuation.
« (...) Le président Mugabe doit comprendre que ses choix se restreignent à deux options impossibles : un deuxième tour d’un scrutin qu’il perdrait sans le moindre doute (...) ou la tentative de voler l’élection. » (Qu’est-ce qui permet au baron d’en être aussi sûr ?) « Il est face à son départ de la présidence. Nous devons nous assurer de ne rien dire ni faire qui lui donne la moindre marge de manoeuvre. »
Quant à la baronne Park de Monmouth (ancienne responsable du service secret MI-6), elle estime que « nous avons trop longtemps laissé les décisions dans les mains de la SADC [communauté de développement d’Afrique australe]. (...) C’est un moment où le Commonwealth peut faire beaucoup. » En somme, elle propose que le Commonwealth envoie ses propres observateurs sur place, au lieu de se fier aux Africains.
La plupart des patriotes africains reconnaissent cependant que les problèmes du Zimbabwe sont emblématiques de la tragédie que vit l’Afrique, car la question de la réforme agraire est un sujet fondamental – à plus forte raison au moment où la pénurie alimentaire, le manque d’électricité et l’inflation provoquent des émeutes sur le continent. Tous ceux qui veulent aider l’Afrique doivent se battre pour un nouveau système financier plus juste, reposant sur une coopération d’égal à égal.