Malgré l’unité de façade affichée par les dirigeants socialistes lors de l’université d’été du parti à La Rochelle, les divisions nées du vote du 29 mai restent entières et profondes. Pour l’heure, cependant, mis à part la contribution au congrès du Mans proposée par Michel Rocard en juillet dernier qui amène un air nouveau, le débat ne va pas dans le sens d’une sortie de crise par le haut. La direction actuelle paraît totalement figée dans ses positions, non seulement de l’avant 29 mai, mais d’avant la débâcle de 2002 et de celle de François Mitterrand. Du côté de l’opposition, Laurent Fabius et les autres donnent l’impression de s’embourber dans un « gauchisme « pluriel dont le radicalisme masque des objectifs qui restent très flous pour le moment. Pourtant, un programme s’inspirant de la façon dont Franklin Roosevelt a tiré l’Amérique de la grande dépression permettrait aux différentes factions de retrouver un consensus réel à la crise du parti, et surtout à celle de la France, de l’Europe et du monde.
Partant de la crise économique aux Etats-Unis et de ses conséquences potentielles sur le monde entier, Michel Rocard porte une attention toute particulière à l’endettement astronomique outre-Atlantique. Aujourd’hui, la dette extérieure américaine s’élève à 600 milliards de dollars, mais l’élément le plus grave est que « le système financier américain ne tient qu’à la condition de pouvoir emprunter au reste du monde 1,9 milliard de dollars par jour », somme en constante augmentation. Par ailleurs, en 1970, il y avait 40% de travailleurs « manufacturiers », contre seulement 18 % aujourd’hui, pourcentage qui « comprend les manuels de services, entendez les coupeurs de viande de Mac Do ». Si on exclut ces derniers, « il reste 11% de la main d’œuvre totale qui soit effectivement manufacturière. Les Etats-Unis désindustrialisent à tour de bras. General Motors et Ford sont en faillite. Et l’argent qui tourne est de manière dominante à intention spéculative . »
Michel Rocard s’inquiète également des effets de la spéculation financière aux Etats-Unis et dans le monde. « L’explosion de la bulle "e-economy" (...) n’a pas tari l’appétit spéculatif qui caractérise le capitalisme actionnarial actuel. Après l’effondrement de l’informatique, on s’est replié sur l’immobilier, c’est un petit peu plus sûr. Ce parasitage de l’épargne du reste du monde pour spéculer porte sur des sommes immenses. » Par conséquent, par-dessus la bulle spéculative immobilière, « se développe à toute allure une bulle sur la bulle à partir du crédit hypothécaire. Lorsqu’elle explosera, elle risque fort d’affecter profondément le cours du dollar, la capacité d’emprunt américaine. Il peut arriver n’importe quoi . »
Pour l’ancien Premier ministre français, l’énorme choc pétrolier que nous subissons peut faire office de déclencheur. Il critique vertement l’« idée stupéfiante » du président Bush « de voler les milliards de dollars accumulés dans les caisses de retraite publiques pour les recycler vers la Bourse, à tous risques pour les retraités. Cette bataille-là aussi pourrait être un déclencheur. »
Soulignant l’urgence d’une action immédiate, Michel Rocard appelle ses collègues de parti à se mobiliser pour parer à ces risques, y compris à celui d’une « manière de tsunami financier ». « La puissance des forces qui déferleraient alors est potentiellement immense. » C’est pourquoi toute stratégie pertinente doit « prendre en charge cette menace et chercher à la traiter par l’appel à la négociation internationale pour un nouvel ordre financier - un nouveau Bretton Woods - et par la préparation de l’Europe à tenir le choc . »