Des documents récemment déclassifiés en Grande-Bretagne montrent qu’en 1976, le gouvernement de l’époque avait considéré l’option d’un putsch militaire à Rome, afin d’empêcher l’éventuelle participation du Parti communiste italien (PCI) au gouvernement.
Si l’option d’un coup d’Etat fut finalement écartée, en 1978, le démocrate-chrétien Aldo Moro, alors président du Conseil, fut enlevé et assassiné par les Brigades rouges (BR).
Pour mieux protéger l’Italie des ingérences étrangères, Aldo Moro voulait transformer le PCI en un parti pleinement démocratique, indépendant de Moscou.
Ainsi, il n’y aurait plus eu d’obstacle à un changement de pouvoir politique, autrement normal dans les démocraties occidentales, ni de prétexte pour imposer à l’Italie la politique impériale anglo-américaine au nom de la lutte contre le communisme.
Bien que le PCI ait effectivement évolué dans le sens voulu par Moro, Londres et des forces anglophiles à Washington et dans certaines capitales européennes complotèrent les moyens de torpiller ce plan par tous les moyens, y compris un putsch. Ceci est confirmé dans des documents publiés par La Repubblica du 13 janvier dernier, retrouvés dans les archives de Londres par le chercheur Mario J. Cereghino.
Le plus choquant est un document classé secret du Planning Staff du Foreign Office, en date du 6 mai 1976, intitulé « L’Italie et les communistes : les options pour l’Occident ».
En page 14, sous le titre « Action en soutien à un coup d’Etat ou à d’autres actions subversives », on peut lire : « Par sa nature même, un coup d’Etat pourrait aboutir à des résultats imprévisibles. Néanmoins, théoriquement, on pourrait l’encourager. D’une manière ou d’une autre, il pourrait venir de forces de droite soutenues par l’armée et la police.
Pour différentes raisons, l’idée d’un coup chirurgical sans effusion de sang, permettant d’écarter le PCI ou d’empêcher son arrivée au pouvoir, peut sembler attirante.
Mais il s’agit d’une idée peu réaliste. » Pour les motifs suivants : poids du PCI au sein du mouvement syndical, perspective d’une guerre civile « longue et sanglante », éventuelle intervention de l’URSS, opinion hostile en Occident. Cette option fut donc rejetée.
Par contre, empêcher le PCI d’entrer au gouvernement en Italie était une priorité majeure de la diplomatie anglaise, du Département d’Etat américain, alors dirigé par Henry Kissinger, et de l’OTAN. Le 25 mars 1976, le ministère britannique de la Défense écrivit au Foreign Office qu’un gouvernement de coalition comprenant le PCI serait une « catastrophe ».
John Killick, alors ambassadeur britannique auprès de l’OTAN, estimait que « la présence de ministres communistes dans le gouvernement italien créerait immédiatement un problème de sécurité pour l’Alliance. (...) Par conséquent, une amputation nette [de l’Italie] est préférable à la paralysie interne. »
L’ambassadeur à Rome, Sir Guy Millard, a été plus franc sur les motifs réels en déclarant que la participation du PCI au gouvernement signifierait « la fin immédiate du système de libre marché ».
Sir Guy est aussi critique à l’égard d’Aldo Moro : « Parfois il semble très ambigu sur le compromis historique », c’est-à-dire la proposition communiste de s’allier aux démocrates-chrétiens.
Pour Henry Kissinger, le « réformateur » Berlinguer serait « plus dangereux que Cunhal », le dirigeant léniniste du Portugal.
Etrangement, on ne trouve dans ces documents aucune référence au terrorisme en Italie alors qu’on se trouvait en pleines « années de plomb ».
Le 8 juin 1976, les Brigades rouges assassinaient à Gênes leur première victime, le juge Francesco Coco.
Giovanni Fasanella, un expert du terrorisme, a récemment fait remarquer que l’Italie traverse une phase de « répétitions de stratégie de tension », où des troubles sociaux sont manipulés par des forces extérieures « pour les orienter dans une direction violente ».