Par Christine Bierre
Paris, le 19 juin (Nouvelle Solidarité)—Comme il l’avait tant répété, Nicolas Sarkozy est passé à l’acte et a annoncé, au cours de sa conférence de presse sur la Sécurité et la Défense, le 17 juin, son intention de ramener la France au sein du commandement intégré de l’OTAN d’où le général de Gaulle l’avait courageusement sortie en 1966.
Ceux qui sont toujours prêts à s’adapter – et il y en eut en juin 1940 ! – se laisseront bercer par les promesses d’indépendance prononcées par Nicolas Sarkozy, assurant que la France « gardera en toutes circonstances une liberté d’appréciation totale sur l’envoi de ses troupes en opérations », qu’elle « ne placera aucun contingent militaire de façon permanente sous commandement de l’OTAN en temps de paix » et que « la dissuasion nucléaire de la France restera strictement nationale ».
Ce qui devrait choquer le plus les patriotes que nous sommes, ce sont les conclusions de la commission du Livre blanc, pour qui plus « rien ne s’oppose à ce que nous participions aux structures militaires de l’OTAN ». Car la trahison des conceptions gaulliennes de la Défense a été telle, depuis les réformes de Giscard, Mitterrand et Chirac, que Nicolas Sarkozy ne fait que sauter le pas et officialiser un état de fait. Les autres avaient honteusement mis le doigt dans l’engrenage ; Nicolas Sarkozy, lui, « ose », « assume », comme il l’a souligné dans sa conférence de presse.
La réforme annoncée signe l’aggiornamento de la politique militaire classique élaborée avec génie par le général de Gaulle, à deux titres : d’abord en ce qui concerne le lien entre le développement économique de la nation et son outil de défense, et ensuite, au niveau des missions imparties à la Défense. Il annonce le retour à la politique de la canonnière de l’expédition de Suez.
Défense de pointe et croissance économique
A l’époque du général de Gaulle, ce sont les grands programmes d’équipement militaire (les différentes composantes de la dissuasion nucléaire) ainsi que la conquête de l’espace, fruits d’un effort de recherche ambitieux aux frontières de la science, qui ont exercé un fort effet d’entraînement positif sur l’économie civile. Aujourd’hui, pas d’énergie d’origine nucléaire ni d’airbus sans ces programmes. A l’époque actuelle, cependant, les économies dopées à la spéculation financière sont incapables d’engendrer les surplus nécessaires au financement des dépenses militaires. Mais plutôt que de revenir à une économie productive, ce qui impliquerait de s’en prendre aux privilèges des financiers, on préfère adapter nos forces à une économie en peau de chagrin.
Ainsi, des coupes sombres sont annoncées. 54000 postes sur un total de 271000 seront supprimés dans un délai de 6 à 7 ans (17% pour l’armée de terre, 24% pour l’armée de l’air et 11% pour la marine). Quant aux 14000 hommes déployés à l’étranger, leur nombre devrait diminuer fortement, Sarkozy ayant l’intention de fermer la plupart des bases militaires en Afrique. Seules deux bases y resteront, l’une sur la façade atlantique, à Libreville ou à Dakar, l’autre du côté de l’océan Indien, probablement à Djibouti.
Au niveau des équipements, l’armée de l’air disposera de 300 avions (dont des Rafale et Mirage 2000 modernisés), mais sa capacité de projection se trouvera réduite à 70 avions de chasse contre 100 prévus, et pour ce qui est de la marine, elle aura 20 frégates sur les 25 escomptées.
Malgré cela, Nicolas Sarkozy prétend que la France pourra déployer 30000 hommes sur un arc de crise de 7 à 8000km pendant une durée de 6 mois. 5000 autres seraient disponibles pour des opérations d’urgence à l’étranger, alors que 10000 pourraient faire face à des crises graves sur le territoire national.
L’ennemi, c’est potentiellement la Russie, l’Asie, l’Afrique
Mais c’est la mission impartie à nos armées qui devrait le plus choquer nos concitoyens. En effet, d’un effort de défense que le général de Gaulle voyait consacré à la seule défense du territoire national et aux obligations nées des accords militaires signés avec quelques pays, Nicolas Sarkozy « recentre » l’effort en direction d’un « arc de crise » qui va de l’Atlantique à l’océan Indien.
Bien sûr, il a assuré qu’il maintiendrait la force de frappe, mais les menaces, produits de « l’incertitude de la mondialisation », sont clairement identifiées dans cet arc de crise, là où se manifeste la plus grande volonté d’indépendance vis-à-vis des menées des Anglo-Américains et de leurs alliés en Europe, y compris, désormais, la France. Les ennemis potentiels sont en Russie, en Chine ou dans les pays qui entrent de plus en plus dans leur zone d’influence, tels l’Inde, l’Iran, la Syrie, le Liban et certains pays de la Méditerranée.
Et Sarkozy de dresser un inventaire à la Prévert des menaces, mêlant terrorisme, compétition économique en Asie et renforcement de la Russie ! Ainsi, les menaces vont du « terrorisme de masse, aux tensions qui naissent de la course aux matières premières. (…) L’Asie a connu un développement économique sans précédent. Elle est devenue un nouveau centre de gravité stratégique. Des facteurs de risque y persistent. L’Europe a un intérêt fondamental à la sécurité de la principale zone de croissance du monde. (...) Aux portes de l’Europe, dans la zone qui va de l’ouest africain jusqu’à l’Asie, en passant par la Méditerranée et la région du Golfe, les facteurs d’instabilité et de violence sont nombreux : revendications identitaires, radicalisations, conflits ouverts ou latents, terrorisme et prolifération ». « En Afrique, notre plus proche voisin, (...) des groupes terroristes s’implantent et instrumentalisent des situations. » « En Europe, nos frontières terrestres et maritimes ne sont plus sûres. Et la Russie est revenue à une politique d’affirmation de sa puissance. »Et Sarkozy de prendre des accents balladuriens en soulignant que dans un « monde qui change, où émergent de nouvelles puissances économiques et militaires, le poids démographique et économique de l’Occident décroît mécaniquement. »
Pour les naïfs qui imaginent que la France ne fait que participer à des opérations de gestion de crise, où les armes viennent seulement en soutien à la politique, Sarkozy a mis les points sur les « i » : « Projeter 30000 hommes, c’est déjà accepter le principe que notre pays pourrait s’engager dans une guerre, car avec 30000 hommes, c’est bien de guerre dont il s’agit. » Et la menace se fait spécifique lorsqu’il évoque l’Iran, promettant de tout faire « pour résoudre la crise iranienne, qui est la première menace qui pèse aujourd’hui sur le monde » et rappelant l’existence de
Enfin, l’outil de défense sera également adapté au combat asymétrique, de guérilla, que livrent les peuples de ces régions contre l’assaut des Anglo-Américains, et qui met de plus en plus les militaires face à des guerres qui ont lieu au sein même des populations. Dans une interview au Monde, le ministre de la Défense, Hervé Morin, précise qu’ils entendent à cet effet « favoriser l’infanterie, l’aéromobilité avec les hélicoptères de transport et la protection du soldat, notamment en zone urbaine grâce au Véhicule blindé de combat d’infanterie ».
La République du renseignement
Face aux « risques nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques » dont nous serions potentiellement victimes, définis comme la projection à l’intérieur de notre pays des conflits extérieurs, Nicolas Sarkozy entend renforcer les capacités de renseignement et de sécurité intérieure, via « un effort massif » dans les technologies spatiales où les crédits passeront de 350 millions à 700 millions d’euros par an.
Fidèle au profil d’une présidence qui s’appuie fortement sur les services de renseignement et la police, un « coordinateur » du renseignement sera nommé auprès de Nicolas Sarkozy, pour centraliser les informations venant de tous les services de renseignement : la Direction des renseignements militaires (DRM), la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), la Direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD) et la Direction centrale de renseignements intérieurs (DCRI). L’homme au profil idéal a été trouvé pour ce poste : Bernard Bajolet, ambassadeur de France à Alger ayant aussi exercé des fonctions diplomatiques à Damas, Amman, Sarajevo et Bagdad.
Rien d’étonnant à ce que les « sages » du Livre blanc trouvent que plus « rien ne s’oppose à ce que nous participions aux structures militaires de l’OTAN » ; avant de vendre notre outil, nous avions déjà vendu nos âmes.