7 juin 2008 (Nouvelle Solidarité) — Il y a plusieurs bonnes raisons pour lesquelles les coupeurs de canne à sucre brésiliens appellent leur production « satanique ».
En effet, ils sont souvent les esclaves de l’industrie de l’éthanol produit à partir du sucre, et leurs conditions de vie et de travail ne diffèrent guère des esclaves qui travaillaient et mouraient dans les plantations à l’époque de la colonisation portugaise. Notez qu’en 1810, ce furent des bateaux de guerre anglais qui avaient escorté la famille royale portugaise de Lisbonne jusqu’au Brésil quand les guerres de libération menaçaient l’existence des têtes couronnées.
Bien que le gouvernement de Lula da Silva prétend « moderniser » le secteur de la canne à sucre, rien ou très peu n’a en réalité changé. Premier producteur mondial de sucre du monde, avec une production totale de 21,4 millions de tonnes pour la saison 1998-99, il dispose de sucreries ultra-modernes. Les coûts de production du sucre brésilien restent les plus bas au monde, et c’est précisément cela qui leur permet d’attirer les fonds spéculatifs et les hedge funds, qu’il s’agisse de ceux du financier britannique George Soros, de Bill Gates ou des grands cartels de l’alimentaire.
Cette compétitivité n’est pas uniquement le fruit de technologies performantes.
Dans le livre Agroenergia : Mitos Impactos on peut lire que « le travail d’esclave est aussi commun dans ce secteur. Les travailleurs, qui viennent généralement de la région du Nordeste ou de la vallée de Jequitinhona, état de Minas Gerais, ont été attirés, recrutés et trompés par des intermédiaires qu’on appelle "gatos", chargés de choisir la main-d’œuvre pour les sucreries. En 2006, la Fiscalía du Ministerio Publico inspecta 74 sucreries dans l’état de São Paulo et toutes furent inculpées. En Mars 2007, les procureurs du MTE (ministère du Travail) ont sauvé 288 travailleurs en situation d’esclavage dans six sucreries de São Paulo. Dans une autre opération réalisée en Mars, les contrôleurs du ministère du Travail au Mato Grosso du Sud ont sauvé 409 travailleurs dans la cannaie d’une distillerie "Centro Oeste Iguatemi". Parmi eux, il y avait 150 indigènes. En Juillet 2007, des procureurs du ministère du Travail ont mis en liberté 1108 travailleurs qui récoltaient la canne dans la ferme Pagrisa (Pour Pastoril e Agricola SA) dans la commune d’Ulianópolis (Etat de Parà). »
C’était le plus grand nombre d’esclaves libérés dans l’histoire récente du Brésil !
Presque 80% de la canne à sucre est coupé manuellement et le salaire est fonction du nombre de cannes coupées, un nombre prédéterminé par les patrons. Le salaire varie entre 100 et 200 dollars par mois, cela, si les contremaîtres ont envie de faire le calcul de la production.
Dans la zone de Riberao Preto de Sao Paolo, le quota se chiffre actuellement à 12 tonnes par jour et par ouvrier, rien que le double qu’en 1980, d’après le journaliste d’investigation Raul Zibechi. Ainsi, les ouvriers travaillent dix, douze, voire quatorze heures par jour et amènent leurs enfants pour atteindre de tels quotas de production.
Le bénéfice qu’ils tirent de leur travail est généralement nul ou négatif. Les travailleurs sont logés dans des baraques insalubres sans eau potable, sans toilettes, équipés ni de cuisine, ni de sanitaires. Les problèmes de santé sont omniprésents. Cependant, les patrons de la Riberao Prato ont imaginé une « solution technique » pour y faire face : ils offrent au personnel un complément vitaminé, normalement réservé aux athlètes, permettant de calmer les douleurs, les crampes, les maux de dos, etc. Le problème, c’est que pour rester efficace, il faut chaque mois accroître les prises. Dans ces conditions, constate le sociologue Francisco de Oliveira, l’espérance de vie ne pouvait que retomber au niveau de celui de l’époque coloniale…
La montée fantastique des cours des biocarburants sur les marchés se fonde donc ni plus ni moins sur la montée tout aussi fantastique d’un nouveau colonialisme sans complexes.
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