L’ultra-libéral Institut Cato de Washington vient de publier une étude promouvant la « montée de la première génération de capitalistes ouvriers de l’histoire - d’hommes et de femmes dont les revenus incluent à la fois un salaire et la détention de capital ». Cette étude, produite par Richard Nadler, directeur exécutif de l’Association américaine des actionnaires, constitue une large documentation sur la propagation de l’actionnariat parmi les ménages américains, au cours des 15 dernières années. Selon Nadler, cette tendance « a modifié de manière fondamentale la relation entre travail et capital ».
Le phénomène des petits porteurs explique le taux d’épargne négatif chez les familles américaines, qui considèrent les actions non seulement comme une source de plus-values, mais aussi comme un moyen de s’assurer des fonds pour leur retraite. L’épargne a été supplantée par l’actionnariat.
On compte actuellement aux Etats-Unis près de 76 millions de détenteurs d’actions, soit 43 % de l’ensemble des ménages. Ce chiffre a augmenté de 126 % depuis l’adoption en 1986 de la loi sur la réforme fiscale, qui donne aux employés la possibilité de placer régulièrement une part de leur salaire dans un investissement fiscalement différé - ce que l’on appelle les comptes 401 (k) en référence au paragraphe du code fiscal les autorisant. Ainsi, au lieu de garantir aux employés une « allocation-retraite définie (DB - defined benefit) » , l’employeur peut leur fournir une « contribution définie (DC) » que l’employé peut alors décider d’investir dans un fonds de placement. L’employé ne paie pas d’impôt sur cet investissement avant de prendre sa retraite mais, en revanche, s’il a fait un mauvais choix d’investissement ou si la Bourse s’effondre, l’employeur n’est pas tenu de compenser les pertes au niveau de la retraite.
Le nombre de ces plans DC a grimpé en flèche, ce qui contribue à expliquer la montée phénoménale de la Bourse américaine : de 2500 points en 1989, le Dow Jones atteint aujourd’hui plus de 11 100 points, soit plus de 146 % du PIB. Le département du Travail estime que plus de 55 millions d’Américains sont actuellement inscrits dans divers plans de retraite privés, type DC, et détiennent pour 2200 milliards de dollars d’actifs, surtout des actions, dont 68 % passent par des fonds 401 (k).
Il ressort aussi de cette étude à quel point l’actionnariat représente une part significative des revenus ou de la « fortune » même des employés à bas salaire. Depuis 1989, le nombre de petits porteurs parmi les classes laborieuses a augmenté de 106 %, pendant que le nombre de familles aux revenus inférieurs à 25 000 dollars par an a augmenté de 80 % au cours de la même période. Selon l’Institut Cato, cette « démocratisation » de l’actionnariat et le fait que les actions sont destinées à couvrir des besoins à long terme en matière de retraite, ont créé une situation où, même lors de turbulences sur les marchés, ces 76 millions de citoyens ordinaires tendent à ne pas paniquer et à ne pas liquider leurs investissements.
Comme on devait s’y attendre de la part d’un institut ultra-monétariste, cette nouvelle étude fait partie d’une campagne en faveur de la privatisation totale du Trust Fund gouvernemental des retraites. Mais elle montre surtout à quel point les familles américaines sont vulnérables face au processus d’effondrement financier.