Il n’a pas fallu attendre longtemps la mue de Bernard Kouchner en néo-conservateur français. L’escalade vers la guerre d’Iran, menée tambour battant par l’administration Bush/Cheney et par ses contrôleurs anglais, a donné l’occasion à Kouchner de faire son outing de faucon français de façon spectaculaire.
Certes, les connivences de l’actuel ministre des Affaires étrangères avec les Etats-Unis ne sont plus à démontrer. En effet, la continuité est totale entre l’époque où sous sa houlette, Médecins sans frontières collaborait avec les anti-communistes américains de l’International rescue committee de Leo Cherne dans le Cambodge qui venait d’être libéré des génocidaires de Pol Pot par le Vietnam communiste, son soutien à la dernière guerre d’Irak et son ralliement récent au groupe de Michel Taubman de la revue Le meilleur des mondes. Mais de là à offrir les services de la France aux Etats-Unis, comme le rapporte le Canard enchaîné la semaine dernière, dans l’un des conflits les plus criminels que ce pays ait jamais mené - contre l’Irak - et dans une attaque contre l’Iran qui pourrait provoquer une nouvelle guerre mondiale, il y a plus qu’un pas qui a été franchi.
C’est en véritable histrion que le « nouveau » Kouchner s’est mis à souffler le chaud et le froid, tantôt menaçant l’Iran avec le fouet de nouvelles sanctions, tantôt demandant des excuses à Téhéran pour ses « excès de langage » et s’habillant en colombe pour proposer la poursuite des négociations.
Bernard Kouchner, Hubert Védrine, Eric Besson, avec quelle aisance ces anciens « hommes de gauche », transgressent les tabous pour endosser le costume de leurs nouveaux maîtres. Avec quelle facilité ils rejoignent le camp des bourreaux contre celui des victimes : Bernard Kouchner allant plus loin même que ses maîtres dans la croisade impériale contre l’Iran ; Hubert Védrine, en proposant que la France rejoigne pleinement les instances dirigeantes d’une OTAN où l’Europe aurait perdu son âme pour y trouver une place dirigeante ; Eric Besson, imposant la TVA sociale à une population de plus en plus pauvre, reniant ainsi son livre contre Sarkozy, l’accusant d’être un néo-conservateur français.
La réalité est que la partition de la diplomatie française est écrite par l’administration Bush/Cheney. Il suffit d’écouter le discours de Condoleeza Rice pour savoir sur qui se calque l’histrion Kouchner. Interrogée dans l’avion qui la conduisait au Proche-Orient, le mercredi 19 septembre, la secrétaire d’Etat américaine a présenté le discours de la méthode : « Nous pensons que la voie diplomatique peut fonctionner, mais », a-t-elle rajouté, « elle marchera à la fois avec des mesures incitatives et en montrant des dents. » Après leur rencontre à Washington, Condi confirmait : « Bernard et moi, nous voyons ces questions de manière très similaire ».
Le Quai d’Orsay ne déclarait pas autre chose en expliquant, le 18 septembre, que le ministre mène « une action diplomatique mais l’accompagnant de fortes pressions au travers des sanctions programmées et progressives mais révisables ».
Chasser le naturel, la brebis revient au galop. Alors que dans un premier temps, Nicolas Sarkozy avait prétendu vouloir infléchir le look détestable que son amitié pour l’administration Bush/Cheney lui avait donné auprès d’une moitié de la population française, son séjour aux Etats-Unis cet été, accompagné dit-on d’un staff élyséen pléthorique permettant de passer au peigne fin tous les dossiers, a marqué la fin de cette première période. Désormais la France va au devant même de la politique anglo-américaine : c’est elle qui a proposé que le Conseil de sécurité de l’ONU adopte une nouvelle série de sanctions contre Téhéran, visant cette fois les intérêts « économiques, les grosses fortunes et les banques », ainsi que le transport de matériel militaire aux frontières. Pour l’heure, la France ne peut compter que sur le soutien des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne pour ces nouvelles sanctions. La Russie et la Chine y sont hostiles, tout comme l’Allemagne - dont les relations commerciales avec l’Iran sont importantes - ainsi que les compagnies françaises qui, tels Total, Renault ou les autres, ont déjà des engagements irréversibles dans ce pays.
Fini aussi le discours cordial avec la Russie qui avait suivi la première rencontre Sarkozy/Poutine lors du G8 de Heiligendam. Le 18 septembre dernier, au cours d’une visite à Moscou, destinée à préparer le voyage de Nicolas Sarkozy en octobre, Bernard Kouchner a poussé la provocation jusqu’au bout en se rendant au quotidien Novaia Gazeta où travaillait la journaliste russe assassinée Anna Politkovskaia, et en écrivant dans le livre d’or du journal : « Je témoigne qu’Anna fut un modèle de journalisme et de combattante pour les droits humains. »
On n’est plus du tout au temps où, dans une attitude gaullienne, Jacques Chirac avait contribué à créer, avec la Russie de Poutine et l’Allemagne de Gerhard Schröder, un contrepoids à une Amérique de George Bush partie dans ses « désirs d’Empire ». Face au langage belliqueux de Kouchner, Serguei Lavrov a déclaré à Moscou, le 18 septembre, que « la Russie s’inquiète des multiples informations selon lesquelles des actions militaires sont sérieusement envisagées contre l’Iran ». Pour ce qui est de nouvelles sanctions demandées par la France, Lavrov a déclaré : « Je rappelle qu’à côté des décisions prises au Conseil de sécurité, les Etats-Unis et l’UE prennent leurs propres sanctions, plus sévères. Si nous nous sommes mis d’accord pour travailler collectivement (...) à quoi bon des sanctions unilatérales ? ». Le désaccord est aussi total sur l’indépendance du Kosovo, rejetée par Moscou et soutenue par Paris. Seuls points d’accord, Paris et Moscou seraient en phase pour jouer l’apaisement sur le dossier du déploiement des systèmes anti-missiles américains en Pologne et en Tchéquie, ainsi que contre l’élargissement de l’OTAN à la Géorgie.
La fuite en avant guerrière de Kouchner et de Sarkozy, venant en même temps que l’offensive anti-sociale du gouvernement contre les régimes spéciaux de retraites et en faveur des contrôles génétiques des familles d’immigrants voulant bénéficier du regroupement familial, contribuera-t-elle à remettre l’opposition en état de marche ? Mis KO par l’habilité tactique de Sarkozy et par son propre manque de mission, voilà que le retour du « vrai » Sarkozy devrait faciliter la reconstitution d’un pôle d’opposition digne de ce nom dans le pays. A condition que Jacques Cheminade, seul à avoir posé les problèmes économiques et stratégiques internationaux sur la table, ainsi que leur solution, puisse jouer un rôle clé dans ce processus.