Le 13 mars 2008 (Nouvelle Solidarité)— « Dans une tribune publiée par Le Monde, le 11 mars dernier, intitulé La Défense de l’Europe, Bernard Kouchner lance ouvertement une campagne en faveur d’une évolution qui, grâce au général de Gaulle, avait été longtemps tabou en France : l’intégration de l’Union européenne et de l’OTAN. En effet, la jonction entre une Europe supranationale et les capacités militaires de l’OTAN, crée les conditions de l’émergence de l’Europe-Empire que les amis de Churchill et autres proches du Bildenberg ou de la Commission Trilatérale ont toujours rêvé.
Mais, comme toujours, c’est avec la feuille de vigne humanitaire, que Bernard Kouchner avance dans cette voie. De retour de Goz Beïda, dans l’est du Tchad où il visita le déploiement de l’Eufor, il nous présente cette Europe, non pas comme l’Europe Empire de Robert Cooper, directeur du directoire E en charge des relations économico-militaires du Conseil de l’Union européenne, mais comme une Europe humanitaire, idyllique, accueillie avec enthousiasme par les populations qu’elle défend. Son récit des « femmes violées ou assassinées dès qu’elles s’éloignaient de leur campement », et « desenfants affamés (qui) seront enfin assistés, secourus », nous ferait presque pleurer.
Le ministre des Affaires étrangères note le rôle fondateur dans l’Europe de la défense joué par le sommet franco-britannique de Saint-Malo qui, en 1998, avait décidé que "L’Union (devait) avoir une capacité autonome d’action, appuyée sur des forces militaires crédibles, avec les moyens de les utiliser et en étant prête à le faire afin de répondre aux crises internationales", mais souligne que c’est seulement « la politique européenne de sécurité et de défense inscrite dans le traité de Lisbonne qui nous permet enfin de répondre à cette exigence. »
« Demain, si nous le voulons, l’Union européenne pourra pleinement assumer son rôle sur la scène internationale » rêve Kouchner appelant à une collaboration pragmatique de l’UE avec l’OTAN qui montrera à tous « qu’il n’y a pas compétition, mais au contraire, complémentarité entre les deux structures. » « Comment pourrait-il en être autrement quand 21 des 26 alliés de l’OTAN sont membres de l’Union et que 21 des 27 partenaires de l’Union européenne sont membres de l’OTAN ? »
Et le ministre des Affaires étrangères de conclure fièrement que c’est à la présidence de l’Union européenne exercée par la France à partir du 1er juillet « de permettre de créer un véritable espace de sécurité et de défense, de lutter contre le terrorisme et la prolifération, de renforcer notre sécurité énergétique et de préparer la mise en place des coopérations permanentes ouvertes aux Vingt-Sept prévues par le traité » de Lisbonne.
Quelle noblesse d’idéal, pourrait-on dire, si on ne connaissait pas les sources auxquelles s’abreuve M. Kouchner. Pourtant, beaucoup d’auteurs du « coup d’Etat de Lisbonne », dont Giuliano Amato, sont adeptes d’une idéologie particulière, celle du « nouveau libéral impérialisme » et de « l’Etat post-moderne » prônée et promue par le gourou de Tony Blair en politique étrangère, Robert Cooper.
Parlant du type de relation que cette Europe-empire devrait entretenir avec les pays en voie de développement, il affirme sans rougir qu’il « faut s’habituer à l’idée (d’un) double standard. Entre nous, nous fonctionnons sur la base de lois et de sécurité coopérative. Mais quand nous traitons avec des Etats plus archaïques à l’extérieur du continent postmoderne de l’Europe, nous devons revenir aux méthodes plus dures de l’ère de jadis : la force, l’attaque préventive, la ruse, bref, tout ce qui est requis pour s’occuper de ceux qui vivent encore dans la guerre de ‘tous contre tous’ du XIXe siècle. » Entre nous, ajoute-t-il « nous respectons la loi. Mais quand nous agissons dans la jungle, nous devons utiliser la loi de la jungle. » Il conclut sans transition qu’on a « besoin d’une nouvelle sorte d’impérialisme, un impérialisme acceptable pour le monde des droits de l’homme et des valeurs cosmopolites, » capable de « nous apporter l’ordre et l’organisation mais qui reste fondé sur un principe volontaire. »
Rappelons que parmi les personnes qu’on retrouve aux côtés de Robert Cooper dans l’un des think-tanks qui se trouve être à l’origine de ce genre de projet, le Conseil des relations étrangères européen de Londres, il y a une certaine Christine Ockrent, un certain Alain Minc et un certain Dominique Strauss-Kahn.