A peine un mois après avoir violemment attaqué la proposition du candidat républicain George W. Bush prévoyant une « privatisation » partielle du Social Security Trust Fund (fonds gouvernemental de retraites), Al Gore vient de dévoiler sa propre version du même projet. Bien qu’étant tactiquement différentes, les deux propositions reviennent au même : nourrir chez le citoyen ordinaire l’illusion selon laquelle il pourra « devenir riche » en investissant en Bourse une part croissante de son épargne. Dans les deux cas, c’est les intérêts financiers des grandes banques, des compagnies d’assurances privées et des courtiers de Wall Street qui en profiteraient pour préserver, et même grossir, la bulle boursière américaine de 17 000 milliards de dollars.
Selon le Plan Bush, les travailleurs seraient en mesure d’orienter une partie des cotisations-retraite, prélevées automatiquement sur les salaires et déposés dans le Trust Fund public, vers un compte d’investissement privé. Cet argent pourrait alors être investi par les employés dans des actions et obligations afin, selon Bush, d’augmenter le montant des fonds disponibles pour leur retraite. Le Plan Bush a été concocté par son conseiller économique Martin Feldstein, professeur à Harvard et fanatique partisan de la privatisation du Trust Fund. A l’heure actuelle, ce dernier est autorisé par la loi à investir un éventuel excédent dans les bons du Trésor garantis par le gouvernement, mais pas dans des actions ou des obligations de sociétés privées. Feldstein est proche de différents instituts libre-échangistes comme l’American Enterprise Institute et le Cato Institute qui, depuis des décennies, sont les figures de proue de la campagne pour la privatisation de la Sécurité sociale.
Or, après avoir qualifié, il y a un mois, le Plan Bush de « roulette boursière », Gore en propose à son tour une version qu’il dénomme « Retirement Savings Plus », qui préconise de réduire les prélèvements auxquels les travailleurs sont soumis afin de les encourager à épargner. Pour financer ces réductions, Gore propose de débourser sur dix ans quelque 200 milliards de dollars de l’« excédent » prévu du budget fédéral. L’argent épargné à titre volontaire serait géré pour l’employé par le « secteur privé, pas par le gouvernement ». Les « institutions financières privées [peut-être celles contribuant à la campagne de Gore ?] se limiteraient à offrir des options d’investissement pour des actions, des obligations et des titres gouvernementaux. » Cependant, qui peut assurer que les gérants des fonds communs de placement ne vont pas dilapider l’argent de leurs clients en se livrant à une spéculation irréfléchie ?
Ces deux propositions prétendent traiter la « crise » d’un des rares programmes gouvernementaux qui, à ce jour, n’est justement pas en crise. Le dernier rapport des administrateurs du Trust Fund estime que le fonds demeurera solvable, au taux actuel de prélèvement, jusqu’en 2037.