C’est à une véritable campagne de terreur budgétaire contre la population française que l’on assiste depuis la publication du rapport Pébereau sur la dette, commandé par le ministre de l’Economie et des Finances, Thierry Breton.
La thérapie de choc que Margaret Thatcher et Ronald Reagan avaient fait subir à leurs populations en leur temps et que les néo-conservateurs allemands tentent d’imposer outre-Rhin depuis deux ans, fait son entrée en force en France. Cette fois-ci, c’est le gouvernement au complet - Nicolas Sarkozy, Dominique de Villepin et même ses « détracteurs » centristes - qui agit comme un seul homme pour imposer la pilule amère aux Français.
Rien d’étonnant à ce que ce soit Le Figaro, le quotidien du marchand d’armes néo-conservateur Serge Dassault, qui ait le premier lancé la charge : « La France au mur de la dette » titrait le journal sarkozyiste à la une du 14 décembre, claironnant que ce rapport est destiné « à préparer l’opinion à une sévère cure d’austérité ». Le 19 décembre, ce sont les photos de Thierry Breton et Michel Pébereau, les deux bourreaux de l’oligarchie financière française et internationale, prêts à faire tomber le couperet de la guillotine financière, qui figuraient à la une.
Avec de fort relents vichystes culpabilisateurs, ce rapport assène : depuis vingt-cinq ans, nous avons trop dépensé, nous avons vécu au-dessus de nos moyens. Pire encore, tels des Saturne, nous sommes en train de manger le futur de nos enfants et petits-enfants, en reportant nos dettes sur l’avenir. Depuis 1980, la dette publique a quintuplé, et alors qu’à cette époque, un tiers seulement de l’impôt sur le revenu servait à payer les intérêts de la dette, en 2004, c’est l’intégralité. Pour dramatiser, le rapport n’hésite pas à recourir à une escroquerie intellectuelle, ajoutant aux 1117 milliards d’euros du montant total de la dette, soit 64 % du PNB, les coûts futurs des retraites, alors que dans notre système de retraites par répartition, celles-ci sont payées par les actifs, et non pas par l’Etat. Cette supercherie permet de faire passer le montant total à 2000 milliards d’euros, soit plus de 120 % du PIB !
Le rapport passe au crible les secteurs sur lesquels pourrait porter la cure d’amaigrissement : en première ligne, bien sûr, les effectifs de l’Etat, qui ont gonflé de 310 000 entre 1982 et 2003 ; les 60 milliards de l’enseignement national, deuxième budget de l’Etat, dont l’efficacité est mise en doute ; les investissements en infrastructures, dont les coûts au départ sont toujours sous-évalués et la rentabilité future toujours surévaluée ; le manque d’efficacité du secteur hospitalier et, plus généralement, les 110 milliards de déficit de la sécurité sociale, accumulé depuis 15 ans, et enfin, les 14 milliards de déficit de l’assurance chômage.
C’est la lâcheté des hommes politiques qui nous a conduits à cette situation, matraque le rapport. « La dette est en fait une facilité à laquelle la France a cédé en raison des lourdeurs et des incohérences de son organisation administrative et, plus fondamentalement, de ses pratiques politiques et collectives. »
Parmi les pratiques politiques ainsi épinglées : l’incapacité des pouvoirs publics à s’appliquer les critères de rentabilité financière du secteur privé - déterminés pour l’Etat par le rapport recettes/dépenses - prive « les responsables politiques d’indicateurs essentiels et d’arguments vis-à-vis des personnels concernés et de leurs représentants syndicaux pour faire accepter les efforts nécessaires au succès des réformes ».
Puis, il y a la démocratie, avec son « calendrier électoral très chargé » qui « conduit à aborder la question de la réforme des administrations publiques et des effectifs essentiellement sous l’angle des risques politiques et sociaux à court terme ». La « fréquence » des élections empêche aussi la « continuité » nécessaire à l’imposition des réformes, tout comme le trop grand nombre d’élus - 500 000 - crée des difficultés pour aboutir à des consensus. « Malheureusement, les freins permettant de limiter l’effet de la pression de l’opinion publique en faveur de la dépense publique sont nettement insuffisants », gémit le rapport, s’attaquant à l’incapacité du Parlement de jouer ce rôle.
Ah ! les faiblesses de la démocratie, diront certains. Pourquoi ne pas gouverner avec une élite technocratique compétente resserrée, capable de tailler dans les dépenses sociales et les investissements productifs, afin de soutenir les pouvoirs financiers ? Comme dans la grande crise des années trente, le discours des synarchistes qui, pour défendre leurs privilèges, ont porté le fascisme et le nazisme au pouvoir, se fait de plus en plus entendre dans la classe politique française.
Le rapport martèle quelques idées simples pour mieux cacher le rôle joué par la mondialisation et la déréglementation, adoptées dans les années soixante-dix pour le plus grand profit des financiers, politiques qui sont directement à l’origine de l’état de délabrement des finances publiques de la France et de tout le secteur développé.
Quels sont, pour l’Etat, les coûts du chômage provoqués par la mondialisation, en termes de : 1) manque à gagner en recettes fiscales ; 2) coûts de la création d’emplois assistés dans le public et le privé ; 3) coûts des exonérations fiscales et sociales patronales ; et 4) coût de l’assurance chômage ? Quelles sont les pertes pour l’Etat, en termes de recettes fiscales, de la délocalisation des entreprises et des foyers fiscaux ? Quel a été, enfin, le coût du sauvetage des entreprises publiques dont le montant est chiffré à 50 milliards d’euros, où l’Etat a dû intervenir soit parce qu’elles faisaient partie des secteurs stratégiques de la nation ou parce que, comme dans le cas du Crédit lyonnais, le montant de la dette due aux pratiques financières typiques de cette époque, aurait pu emporter l’Etat lui-même ? Ajoutons à tout cela, les 50 milliards des baisses d’impôts accordés par les pouvoirs publics depuis 2001...
Un examen du budget 2006 illustre clairement d’où vient une part importante de l’endettement de la France, presque autant que le paiement des intérêts de la dette de l’année en cours. Sur les 266 milliards du budget 2006, 57 milliards sont consacrés aux fonctions régaliennes de sécurité et de défense, mais 32 milliards seront dépensés dans la « politique de l’emploi », dont 13 milliards pour la création d’emplois assistés et 19 milliards au titre des exonérations de cotisations sociales patronales, accordées par l’Etat aux chefs d’entreprise pour la création d’emplois, sur lesquels ni l’Etat ni personne n’a le moindre contrôle.
Le rapport Pébereau n’est rien d’autre qu’un document de propagande, une tentative d’aboutir à la mise à mort de ce qui reste du modèle du Conseil national de la Résistance, adopté à la fin de la guerre.
Que préconise le rapport, d’ores et déjà soutenu par Nicolas Sarkozy et par un groupe de « centristes » de l’UDF, dont Hervé Morin, Maurice Leroy et André Santini, et de sarkozystes, Françoise de Panafieu, Manuel Aeschlimann et Dominique Paille, qui va plus loin, exigeant dans un projet de loi que le déficit budgétaire soit réduit « impérativement de 10 milliards d’euros par an ».
Dominique de Villepin a également emboîté le pas à Michel Pébereau, annonçant pour janvier prochain une « conférence générale des finances publiques » réunissant l’Etat, les collectivités, la sécurité sociale et les partenaires sociaux, ayant pour but de revenir à l’équilibre budgétaire en cinq ans, c’est-à-dire à faire baisser le rapport dette/PIB de 66 % à 60 %. En juin, une autre conférence établira un « engagement national chiffré », qui n’est autre que celui préconisé par le rapport.
Pébereau : réduire les dépenses publiques de 25 milliards d’euros en cinq ans, en euros constants, c’est-à-dire ne tenant pas compte de l’inflation ! Parmi les autres mesures phares du rapport : arrêt des baisses d’impôt, affectation totale des recettes des privatisations au désendettement, baisse en euros constants des dotations de l’Etat aux collectivités territoriales - tirelires de la République - de 6 milliards d’euros (3,5 % de leurs recettes !), poursuite de la réforme des retraites en 2008, retour à l’équilibre de l’assurance chômage en 2009 et, enfin, utilisation maximale des départs à la retraite pour supprimer les sureffectifs.
Mais qui sont les juges de cette France qui a vécu au-dessus de ses moyens, ceux qui exigent que le couperet de la guillotine financière tombe sur les dépenses sociales et en équipement de l’Etat et dont on nous vante « la compétence économique et financière » et « l’expérience européenne et internationale » ? Avec un salaire de 1,9 million d’euros, Michel Pébereau, PDG de BNP-Paribas, est l’un des plus importants banquiers de la place de Paris et au niveau international, président d’honneur de l’Association française des banques et membre du comité consultatif international de la Federal Reserve Banque de New York. En novembre 2004, il a succédé à Raymond Barre comme président du conseil d’orientation du très atlantiste et néo-conservateur Aspen Institute des Etats-Unis. Il est aussi un des proches du « parrain de la finance » en France, Claude Bébéar, et fait partie du conseil de surveillance d’Axa.
Quant à Thierry Breton, l’ancien patron de France Télécom, lui aussi membre du conseil d’orientation de l’Aspen Institute, son nom avait déjà été pressenti bien avant pour être ministre, mais son salaire posait problème... En effet, en tant que patron de France Télécom, celui-ci s’élevait à 1,35 millions d’euros et selon un rapport France Télécom cité par RFI, « s’il devait cesser ses fonctions, il recevrait une indemnité équivalente à 21 mois de sa dernière rémunération annuelle brute totale », soit une somme d’environ 2,35 millions d’euros...
En effet, au vu de ces chiffres, une certaine France a vécu largement au-dessus de ses moyens et il est temps qu’une réelle alternative se lève contre cette corruption afin de rétablir un système d’investissement productif et de plein emploi qualifié, s’inspirant de celui que nous avons connu pendant les Trente Glorieuses.