Les attaques virulentes proférées par de grands capitalistes ou experts en économie contre les excès du capitalisme financier qui règne en maître aujourd’hui, indiquent que face au danger imminent d’une explosion du système, face à la montée en force d’une réelle opposition à ces politiques aux Etats-Unis, une partie de l’élite française amorce un virage assez serré pour revenir à un capitalisme plus régulateur. Deux livres sont à mentionner dans ce contexte, celui de Jean Peyrelevade, Le Capitalisme total, et celui de Patrick Artus, Le capitalisme est en train de s’autodétruire, dont la virulence des analyses rappelle de plus en plus celle qu’on ne connaissait que chez les amis de l’américain LaRouche et du français Cheminade. Pour les deux auteurs, ce qui tue le capitalisme aujourd’hui, ce sont : 1) les profits exorbitants exigés des entreprises, 2) l’orientation purement spéculative des investissements.
La violence des attaques surprend chez quelqu’un comme Jean Peyrelevade, ancien PDG de Suez, du Crédit Lyonnais et de l’UAP. Dans son ouvrage intitulé Le Capitalisme total, Peyrelevade écrit que si les tendances actuelles se poursuivent, le capitalisme va à sa perte. Comme LaRouche depuis trente ans, il dénonce le capitalisme « financier », constitué de fonds d’investissements et de pensions, obsédé par les gains financiers à court terme, opposé au capitalisme « rhénan » qu’il soutient, produit d’une alliance entre banquiers et industriels fondée sur une stratégie d’investissements à long terme. Pour Peyrelevade, la solution à cette crise grave n’est ni dans l’alter-mondialisme, ni dans l’autorégulation, mais bien dans le retour à un Etat qui réoriente l’économie vers les investissements longs, détermine des critères de profit compatibles avec une stratégie de long terme, encourage les investissements plutôt que les dividendes et limite même les salaires des dirigeants d’entreprise.
Dans une interview à Bernard Maris, dans Charlie Hebdo, Patrick Artus, économiste en chef de la CDC et membre du Conseil d’analyse économique du Premier ministre, développe les lignes fortes de son dernier ouvrage, Le capitalisme est en train de s’autodétruire, écrit en collaboration avec Marie-Paule Virard. Les faillites frauduleuses d’Enron, Parmalat et Refco prouvent, selon Artus, que la « classe nouvelle des dirigeants » d’entreprise n’est pas « au service des actionnaires », mais cherche au contraire « à leur piquer de l’argent » ! Patrick Artus dénonce lui aussi le rôle des intermédiaires financiers dans la fuite en avant financière. Alors que dans les années 50 et 60, « 70 % du volume des actions est détenu par des individus », qui le placent avec le seul objectif d’améliorer leur retraite, « aujourd’hui, on a 70 % de l’épargne qui est intermédiée par des assureurs, des "hedge funds", des fonds de pension ou d’investissement », pour qui le seul objectif est le profit immédiat. C’est « l’exigence exorbitante de rentabilité du capital » qui est à l’origine de toutes les crises de ce système. Artus s’en prend virulemment à Alan Greenspan, dénoncé jadis comme un « pompier pyromane » qui crée les crises en laissant gonfler les bulles spéculatives et éteint les incendies en injectant de la monnaie via les banques centrales. C’est ainsi qu’on saute de crise en crise chaque fois « plus haut » vers une « prochaine crise qui sera encore pire ». C’est une « bombe à retardement », analyse Patrick Artus, qui souligne que sans l’endettement démesuré des ménages, la croissance dans le monde serait aujourd’hui négative. Révélateur de l’état de délabrement du système, il affirme que « tous les patrons du CAC 40 sont à peu près d’accord » sur ce diagnostic, tout comme « les économistes sérieux », mais il conclut qu’aucune solution ne « peut venir de l’intérieur du monde anglo-saxon. Ce qui fait qu’on peut avoir une vision relativement pessimiste de l’avenir ».
Notons enfin, dans le même esprit, les déclarations plutôt surprenantes de Claude Bebear, fondateur du géant mondial de l’assurance, AXA, connu en France comme le « parrain du capitalisme français ». Dans une réunion de l’Académie, un club qui rassemble des chefs d’entreprise et experts comptables, il a ainsi déclaré : « Notre économie vit sous une bombe, la Bourse est devenue totalement spéculative, c’est une loterie qui ne représente pas du tout la valeur d’une entreprise » et qu’on repart « dans des bulles spéculatives ». Questionné sur la solution possible à cette situation, il prédit lui aussi que « tout partira des Etats Unis ».
Lors de sa conférence de presse mensuelle du 27 octobre, Dominique de Villepin a annoncé sa décision de faire « une pause » dans la politique de privatisation. Après les autoroutes, la SNCM et la privatisation, certes limitée, d’EDF, le Premier ministre n’a pas annoncé de date pour celle, déjà prévue, d’Aéroports de France. En outre, il a déclaré que la privatisation de la poste et de la SNCF n’était pas à l’ordre du jour.
Mais c’est surtout son refus de privatiser Areva (Cogema, Framatome et CEA) qui a fait l’effet d’une bombe, notamment auprès d’Anne Lauvergeon, PDG d’Areva, dont le seul objectif était la préparation à cette privatisation et qui n’aurait même pas été informée de cette décision par le Premier ministre. Dominique de Villepin a ainsi tracé « la ligne rouge à ne pas dépasser » en matière de privatisation, jugeant qu’ »il y a certains services publics dont l’activité est mercantile, mais dont l’importance stratégique est nécessaire pour l’indépendance nationale ». C’est une nouvelle claque pour Nicolas Sarkozy, qui avait annoncé en 2004, alors qu’il était encore ministre de l’Economie, que 35 à 40 % d’Areva seraient privatisés.