Le CETA, l’accord de libre échange signé le 31 octobre 2016 par les gouvernements de l’UE et le Canada est un traité « défaillant » exclusivement au service des grandes firmes transnationales. Aucun parlement ne devrait le ratifier avant de l’avoir soumis à un référendum populaire. Voila ce qu’affirme le Pr Alfred de Zayas [1], l’expert des Nations unies pour la promotion d’un ordre international démocratique.
Le 28 octobre, le Pr Alfred de Zayas a déploré les pressions exercées à l’encontre du parlement de la Wallonie en Belgique après que ses élus s’étaient montrés réticent à l’égard du CETA.
Le passage en force et les intimidations sont devenus monnaie courante lorsqu’il s’agit de traités commerciaux qui passent de loin devant les droits de l’homme.
Dans son rapport au Comité des droits de l’homme et à l’Assemblée générale de l’ONU, Mr de Zayas avait déjà pointé du doigt l’incompatibilité du CETA avec l’exercice du droit, de la démocratie et des droits de l’homme, et en avait précisé les raisons devant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.
Selon lui, le CETA et le TTIP – le Partenariat Transatlantique sur le Commerce et l’Investissement actuellement en négociation entre l’UE et les USA – donnent un pouvoir indu aux grandes entreprises transnationales au détriment des gouvernements nationaux et des droits de l’homme. Il déplore le fait que le nouveau mécanisme proposé fondé sur des Cours d’arbitrage privé (Investor State Dispute Settlement) risque de geler la régulation publique.
Le danger que soient signés le CETA et le TTIP, et leur éventuelle entrée en vigueur est si grave, que chaque signataire, notamment les parlementaires des États membres de l’Union européenne, devraient dès à présent pouvoir en mesurer les avantages et les inconvénients. Les exigences du monde des affaires mettent en danger les législations sur le travail, la santé et le social et rien ne justifie une adoption à la hussarde ».
« La société civile devrait exiger des référendums sur la ratification du CETA ou de tout autre méga-traité qui a été négocié à huis clos », a-t-il ajouté.
L’expert a souligné que l’UE aurait dû écouter les avertissements des experts et la forte opposition de la société civile au CETA. Ses inquiétudes spécifiques concernent les clauses qui selon lui pourraient gêner les prérogatives régulatrices des États, et le droit qu’on risque d’accorder aux investisseurs privés d’attaquer la législation des États qui mette en cause leurs profits, y compris lorsqu’il s’agit de lois relatives à la protection des droits des travailleurs, la santé publique ou l’environnement.
Les États ne devraient signer l’accord qu’à la seule condition que soient pleinement sauvegardés leurs pouvoirs de réguler et légiférer dans l’intérêt public, et que la fameuse clause de « protection de l’investisseur » soit retirée du CETA.
« Cette clause accorde des privilèges aux investisseurs aux dépens des citoyens » a déclaré Mr de Zayas, notant que le nouveau texte l’amendera peut-être, mais ajoutant que la nouvelle version du mécanisme ISDS, l’Investment Court System (ICS) est, lui aussi, incompatible avec la Convention internationale des droits civiques et politiques (ICCPR), qui exige que les procès soient tenus par des tribunaux transparents, responsables, indépendants et publics.
« Les associations de juges en Allemagne et en Espagne ont déjà dénoncé ce mécanisme de cour d’arbitrage privée dont les verdicts sont à sens unique, et discriminatoires à l’encontre des entreprises locales. De plus, l’ICS n’est pas nécessaire quand tous les États qui l’adoptent font déjà partie de l’ICCPR et disposent donc déjà de tribunaux publics indépendants, transparents et responsables. », a-t-il ajouté.
Le CETA, ainsi que la plupart des accords commerciaux et d’investissements, est fondamentalement défaillant à moins qu’une clause spécifique ne stipule la suprématie de la capacité de légiférer des États qui ne doit pas être sous le chantage permanent de se voir infliger des pénalités. Il doit aussi être clair qu’en cas de conflit entre les accords commerciaux et ceux sur les droits de l’homme, ce sont ces derniers qui doivent prévaloir.
L’expert estime qu’il y a désormais matière pour faire adopter une législation contraignante obligeant les entreprises transnationales à ne pas interférer dans les affaires internes des États, et à leur imposer des sanctions lorsqu’elles polluent l’environnement, ou planquent leurs profits dans les paradis fiscaux.
Le Conseil des Droits de l’Homme a mis en place un groupe de travail inter-gouvernemental concernant les entreprises transnationales. Mr de Zayas qui a participé à ce groupe de travail, recommande vivement l’adoption rapide des Guiding Principles on Business and Human Rights afin de les rendre juridiquement contraignants et applicables.
Il a également déclaré qu’il est temps de mettre fin aux secret entourant l’élaboration du CETA : c’est une aberration de ne pouvoir obtenir plus d’informations sinon des bruits de couloirs, en vérité il s’agit d’une violation des obligations des États à assurer l’accès à l’information.
La constitutionnalité des traités CETA et TTIP devrait être vérifiée auprès de la Cour de Justice de l’Union européenne au Luxembourg, ainsi que leurs incidences sur les droits de l’homme devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Ces deux cours pourraient être saisies pour prendre des mesures provisoires de protection. (…) Les tribunaux nationaux devraient eux aussi vérifier la compatibilité des traités avec les constitutions nationales.
Et de conclure :
La crainte est légitime de voir le CETA réduire les normes environnementales, de la sécurité alimentaire, la santé et la protection du travail. Un traité qui renforce la position des investisseurs, des entreprises transnationales et des monopoles aux dépends de l’intérêt général, entre en conflit avec l’obligation des États de protéger des menaces internes et externes chaque citoyen sous sa juridiction.
Selon Mr de Zayas, l’UE aurait dû accorder une plus grande attention à la mise en garde de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.
Le Comité des affaires sociales, de la santé et du développement durable du Conseil de l’Europe avait déclaré le 13 octobre que le CETA imposait des restrictions inacceptables aux pouvoirs législatifs des parlements nationaux, et avait appelé à ce que la signature du traité par les gouvernements soit reportée.
[1] Alfred-Maurice de Zayas, est depuis 2012 l’expert indépendant des Nations unies pour la promotion d’un ordre international démocratique et équitable. Il est historien, avocat et écrivain américain, J.D. (Harvard), Dr. Phil. en histoire moderne de l’université de Göttingen, qui a grandi à Chicago. Il est membre des barreaux de New York et de Floride, a travaillé notamment dans le cabinet de Cyrus Vance (1970-1974) à New York. Il s’est rendu an Allemagne avec une bourse Fulbright, a enseigné dans la faculté de droit de l’université de Göttingen où il était chef d’une groupe de travail sur le droit humanitaire, ensuite à l’Institut Max Planck à Heidelberg où il était membre du comité de rédaction de l’Encyclopédie de droit international. Il fut haut fonctionnaire des Nations unies pendant 22 ans (1981-2003), secrétaire du Comité des droits de l’Homme, chef du département de requêtes au Bureau du haut-commissaire aux droits de l’homme à Genève.
# sylvain denomme
• 09/11/2016 - 01:45
Enfin quelqu’un qui a le courage de dire la vérité sur ces ententes qui ne favorise que les multinationales.
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