-
- Nouvelle Solidarité N° 4/2015 - Pour vous abonner, cliquez ici.
Comme nous le confiait avec un brin d’ironie un ami, « les responsables de la gauche radicale en Grèce, ce sont tout simplement des sociaux-démocrates qui tiennent leur parole... » Comprenne qui voudra...
En visite à Paris jeudi, le Premier Ministre grec Alexis Tsipras, lors d’une discussion avec les experts de l’OCDE, a souligné une fois de plus qu’il est absolument vital que la dette publique soit restructurée et qu’il était irréaliste d’exiger que la Grèce affiche un excédent budgétaire primaire (hors charge de la dette) égal à 3 % du PIB en 2015, comme l’exige la Troïka.
Au même moment, Notis Marias, un eurodéputé grec, prenant la parole au Parlement européen, a remis la question de la séparation bancaire à la Glass-Steagall sur la table. Injecter en permanence des liquidités, comme le fait la BCE, dans des banques universelles alors qu’elles détournent l’argent de l’économie réelle en le plaçant dans des marchés hyper-spéculatifs, ne peut qu’aggraver la situation.
Exiger une restructuration de la dette comme cela fut fait pour l’Allemagne lors de la Conférence de Londres de 1953, comme vient de le faire Tsipras, « irrite tout le monde » et démontre une fois de plus que « le gouvernement grec ne coopère pas », confie une source proche de la Commission européenne au Figaro. Car, pour la Troïka, comme pour Marine Le Pen, « une dette est une dette ».
Ce n’est pas ce que démontre une note de Michel Husson du Comité pour un audit citoyen (CAC), pour qui 56% de la dette grecque acquise avant la crise est illégitime.
Nous reprenons ici l’article publié hier par l’Humanité, qui fait le point sur cette affaire. Pour Jean Gadrey, Professeur honoraire d’économie à l’Université Lille 1, il pourrait même s’agir de 70 % !
D’après le Collectif pour un audit citoyen (CAC), la dette publique grecque d’avant la crise est le fruit du mariage de deux maux nés l’un après l’autre. Les taux d’intérêt exorbitants contractés par l’État dans les années 1980 et la baisse des recettes publiques au début des années 2000.
Il y a dix jours, le Parlement grec annonçait la création d’une commission d’audit de la dette du pays pour distinguer la part légitime de l’illégitime. « Cet outil permettra ainsi de rétablir une injustice majeure commise à l’encontre du peuple grec et de savoir comment le pays en est arrivé là », espérait alors la présidente de la Vouli, Zoé Konstantopoulou.
Moins de deux semaines plus tard, les premières réponses à cette question cruciale arrivent. Le Collectif pour un audit citoyen de la dette publique publie aujourd’hui la version finale de sa « contribution à l’audit de la dette grecque ».
Et force est de constater que les conclusions détaillées de la note fournie par le collectif français ne vont pas dans le sens des prêtres de l’ultralibéralisme. « L’envolée de la dette grecque avant la crise est largement imputable à des taux d’intérêt extravagants (entre 1988 et 2000) et à une baisse des recettes publiques provoquée par des cadeaux et des amnisties fiscales à partir de 2000 », affirme ainsi le rapport du collectif.
Sans ces dérapages, elle n’aurait représenté que 45 % du PIB en 2007, au lieu de 103 %. On peut en conclure que 56 % de la dette grecque acquise avant la crise était illégitime.
Net et sans bavure.
Les demandes du gouvernement grec d’un audit de la dette ont déjà reçu leur première réponse en forme de pavé dans la mare pour les tenants de l’orthodoxie libérale. Il faut dire que le Collectif pour un audit citoyen de la dette publique (CAC), composé de membres des Économistes atterrés, d’Attac et d’autres penseurs critiques de la doxa libérale, n’en est pas à son coup d’essai. L’an dernier déjà, le même collectif français avait produit un travail sur la dette de la France en utilisant les mêmes méthodes que pour la présente note. À l’époque déjà, nous apprenions que 59% de la dette publique française n’était pas légitime.
Les raisons de ce bond de la dette grecque ?
Pour le problème grec, l’idée était simple : remonter concrètement aux sources de la dette. Car s’il est admis que l’explosion de la dette publique hellène (aujourd’hui de 175% du PIB) est principalement liée aux politiques d’austérité menées à marche forcée par la troïka (FMI, BCE, Commission européenne), il ne faut pas oublier que cette même dette culminait déjà à 103% du PIB en 2007, à l’aube de la crise financière.
Selon la vulgate économique et médiatique ordinaire, les déficits publics proviendraient d’une “administration pléthorique, 7 % du PIB contre 3 % en Europe”, et d’une “difficulté à lever l’impôt et à maîtriser les dépenses”,
rappelle ainsi l’économiste Michel Husson, l’un des principaux contributeurs de cette note qui se plaît à prendre le contre-pied de ce chant funèbre.
Basé sur l’étude approfondie des comptes nationaux de la Grèce et révisé par Eurostat, le rapport du CAC offre de nouveaux arguments et pose de nouvelles questions. Comment, en effet, la dette d’un pays peut-elle passer de 20% du PIB en 1980 à 103 % du PIB au début des années 2000, soit huit ans avant la crise financière ?
La réponse du collectif est limpide : « Malgré une forte hausse de la fiscalité dans les années 1990, l’envolée de la dette grecque avant la crise est largement imputable à des taux d’intérêt extravagants (entre 1988 et 2000) et à une baisse des recettes publiques provoquée par des cadeaux et des amnisties fiscales à partir de 2000 », affirme ainsi le rapport du CAC, concluant dans la foulée que 56% de la dette grecque était illégitime.
Et pour cause, les taux d’intérêt –en moyenne 12 % à 13 % dans une période située entre 1980 et 1993– ont fait bondir de 70 points la dette du pays. Dans cette même période, l’étude du CAC fait observer que les intérêts contribuaient pour 57 % à l’accroissement de la dette ; une proportion qui atteint même 65 % entre 1988 et 1993. « Ce poids des intérêts correspond en grande partie à l’effet boule de neige qui se déclenche quand le taux d’intérêt est plus élevé que le taux de croissance du PIB », précise Michel Husson.
Mais alors quelles sont les raisons de ce bond de la dette grecque dans les années 1980-1990 ?
Thomas Coutrot, membre des Économistes atterrés et coprésident d’Attac, met en avant le rôle néfaste des marchés financiers et des banques. « La crise monétaire du début des années 1990 – beaucoup de pays se préparaient alors à entrer dans l’euro– est la cause principale de ce bond de la dette grecque », explique l’économiste à l’Humanité.
La spéculation sur les monnaies européennes a eu un effet désastreux. Et trente ans plus tard on continue de payer cher cette crise spéculative qui représente environ 30 % de la dette actuelle de la Grèce… Ce qui est d’ailleurs aussi valable pour la France.
Pour bien cerner l’ampleur des dégâts, le texte montre quel devrait être le montant « normal » de la dette grecque, en prenant pour référence un taux d’intérêt réel ne dépassant pas 3 %. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : « Si le taux d’intérêt de la dette n’avait pas dérapé entre 1988 et 2000, le ratio dette/PIB aurait été, en 2007, de 64,4 % au lieu de 103,1 %, soit un différentiel de 38,7 points de PIB. » Autrement dit, une moyenne de quatre points de moins par an !
Mais ce n’est pas tout, outre l’effet boule de neige provoqué par des taux d’intérêt iniques, la Grèce est aussi victime d’un manque cruel de recettes depuis l’entrée du pays dans la zone euro. « Les recettes publiques, toujours en proportion du PIB, ont commencé à baisser aussi vite qu’elles avaient monté. Puis, à partir de 2005, la remontée des dépenses a été accompagnée d’une progression concomitante », constate Michel Husson.
Si les recettes publiques n’avaient pas baissé à partir de 2000, la dette publique grecque aurait représenté 86,2 % du PIB au lieu de 103,1 %, soit un écart de 16,9 points de PIB.
Les chiffres ne mentent pas... n’en déplaise à Mme Merkel
Conclusion, si les taux d’intérêt imposés à la Grèce étaient restés raisonnables (autour de 3%) et que le maintien des recettes avait été assuré par les politiques, alors… la dette grecque n’aurait représenté que 45,3 % du PIB au lieu de 103,1 %, soit un écart de 57,8 % du PIB !
Les chiffres ne mentent pas. Et n’en déplaise à Mme Merkel, la fainéantise prêtée par les populistes aux Grecs n’a décidément rien à voir avec la dette qu’on leur demande de payer aujourd’hui.
Source : l’Humanité du 12 mars 2015
Un message, un commentaire ?